10 septembre 2021

Pour rétablir un peu de justice fiscale, oui à l’initiative 99%


 

Il en va de l’essence même du mode de production capitaliste de concentrer les richesses produites par le travail de la classe ouvrière entre les mains d’une minorité des maîtres du capital. Mais, depuis que la concentration du capital a fait naître des entreprises plus puissantes que certains États, et depuis la contre-révolution néolibérale, qui a mis fin à nombre de conquêtes sociales et démocratiques des travailleurs, cet accaparement a atteint des sommets proprement inouïs est sans équivalent dans l’histoire de l’humanité.

 

Aujourd’hui, les 1% les plus riches de Suisse possèdent plus de 43% des actifs totaux. L’un des principaux moteurs de cette évolution est le revenu du capital, c’est-à-dire les dividendes, les bénéfices des actions et les intérêts, qui font entrer chaque année des milliards dans les poches des plus riches. Les 300 personnes les plus riches de notre pays ont pu doubler leur fortune au cours des dix-sept dernières années, passant de 352 milliards à l’inimaginable 707 milliards de francs. Alors que la pandémie du Covid-19 a signifié une plongée dans la pauvreté pour beaucoup de gens, les plus fortunés ne se sont jamais aussi bien portés. La répartition de la richesse existante est une question politique, donc une partie de la lutte des classes. Une opposition souvent présentée comme celle des 99% face aux 1% les plus riches qui concentrent l’essentiel des richesses entre leurs mains. Notons que cette simplification n’a pas de valeur scientifique : le chiffre de 1% n’est guère un moyen exact pour définir l’oligarchie monopoliste, pas plus que le slogan de « nous sommes les 99% » n’est une formulation rigoureuse de l’objectif de construction d'un front antimonopoliste regroupant toutes celles et ceux qui subissent la domination de ladite oligarchie. Mais un slogan est un slogan. Pour ne pas être scientifiquement précis, il a au moins le mérite d’être parlant.

 

Pour mettre un frein à cette concentration croissante des richesses entre les mains d’une infime minorité, la Jeunesse socialiste a lancé une initiative populaire communément connue comme « initiative 99% », et dont le nom complet est « Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital ».

 

Cette initiative prévoit d’introduire dans la Constitution fédérale un nouvel article, en trois alinéas :

 

1. Les parts du revenu du capital supérieures à un montant dé-fini par la loi sont imposables à hauteur de 150%.

 

2. Les recettes supplémentaires qui découlent de l’imposition à hauteur de 150% au lieu de 100% des parts du revenu du capital au sens de l’al.1 sont affectées à une réduction de l’imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail ou à des paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale.

 

3. La loi règle les modalités.

 

Pour le montant des revenus du capital à partir duquel interviendrait l’imposition rehaussée à 150%, les initiants articulent le chiffre de 100'000.-, chiffre sur lequel se basent également les opposants dans leur propagande. Mais le texte de l’initiative dit clairement que l’Assemblée fédérale aurait toute la latitude qu’elle veut pour fixer un montant de son choix dans la loi d’application le cas échéant.

 

Notons que les revenus du capital sont actuellement sous-imposés en Suisse. Les actionnaires qui possèdent plus de 10% des parts d’une société ne sont imposés que sur 70% de leurs revenus dus à ces actions (parce qu’ils seraient déjà touchés par l’impôt sur le bénéfice en tant que propriétaires de la société en question). Non seulement les revenus du travail sont imposés jusqu’au dernier centime, mais sont encore grevés de cotisations sociales, inexistantes pour les revenus du capital.

 

Une imposition à hauteur de 150% signifie qu’à partir du seuil défini, un franc de revenu est considéré comme s’il était un franc cinquante. Par exemple, pour un revenu provenant des gains du capital à hauteur de 150’000,- (supposant que le seuil fatidique est fixé à 100'000), l’impôt serait calculé comme s’il s’agissait d’un revenu de 175’000 (100’000,- imposés à 100%, et 50’000,- majorés à 150%, soit comme s’il s’agissait de 75’000,-). L’initiative ne dit rien en revanche du taux d’imposition, ni sur ce qui serait considéré comme un gain du capital. L’Assemblée fédérale aurait une marge d’interprétation importante pour la loi d’application.

 

Soutenue par toute la gauche et les syndicats – elle ne doit donc pas être aussi « extrême » que ses adversaires le prétendent – l’initiative 99% suscite l’ire de la droite et des milieux patronaux, qui se donnent de grands moyens pour la combattre, à base d’arguments spécieux à la limite des fake news.

 

En réalité, l’initiative 99% déplaît profondément aux milieux patronat et à leur représentation politique, les partis de droite, parce qu’elle s’attaque à leurs intérêts de classe, en exigeant une peu plus de répartition des richesses, à leur détriment – fût-ce un tant soit-peu.

 

L’argumentaire du Conseil fédéral et de la majorité de droite de l’Assemblée fédérale est un condensé d’idéologie libérale. Ils disent tout d’abord que l’initiative répondrait à un problème inexistant, puisque la répartition des revenus serait équitable en Suisse, et la répartition des richesses d’ores et déjà satisfaisante. Ah bon ? De leur point de vue peut-être…Ils poursuivent avec un éloge de l’épargne que l’initiative découragerait. Les revenus du capital ne seraient pas obtenus sans rien faire, vu qu’il a fallu travailler dur et épargner pour amasser ledit capital. C’était peut-être vrai du temps de Jean Calvin. Mais cela n’a aucun rap-port avec le capitalisme d’aujourd’hui. Simple écho d’une idéologie bourgeoise périmée depuis longtemps. L’imposition trop forte du capital découragerait les investissements, ce qui nuirait aux intérêts de tout le monde ? C’est un simple avatar de la théorie du ruissellement, motif idéologique néolibéral qui a justifié des cadeaux fiscaux répétés aux plus riches. Avec toujours le même résultat : l’argent a bien toujours ruisselé…dans la poche des 1%. Quant aux « investissements », les cadeaux fiscaux aux riches n’ont jamais eu de résultat tangible en termes d’investissements productifs et d’apport pour l’économie réelle, et ont surtout alimenté la spéculation. Si on les impose plus, les riches vont partir ? Jusqu’à quand acceptera-t-on leur chantage ? On est en démocratie ou bien ? La Suisse deviendrait moins concurrentielle ? La Suisse est déjà un paradis fiscal, c’en est bien assez comme ça. Il est difficile d’estimer les effets réels de l’initiative, et il n’est pas certain qu’elle ferait rentrer plus d’impôts ? Mais si c’est vrai, pourquoi la craignent-ils ?

 

Mais nous ne sommes plus à l’époque de Reagan et de That-cher. La droite de ce pays a cette manie singulière de ne jamais dire ouvertement qu’elle défend avant tout les intérêts des plus riches et des grandes entreprises, et quand elle le fait, utilise toujours deux arguments phares, qui tiennent plus de la manipulation émotionnelle que de l’argumentation honnête : 1) la défense des « classes moyennes », 2) « et nos PME ». Ces deux arguments sont utilisés à tort et à travers, y compris lorsqu’ils sont manifestement hors de propos, sans aucun rapport avec le sujet concerné. « Et nos PME » est même devenu un meme…

 

Pour cette votation également, la droite utilise ces deux motifs argumentatifs à outrance, et avec une évidente mauvaise foi. La classe moyenne serait concernée ? Si l’on se base sur le chiffre de 100'000,- de revenus du capital, il faudrait investir un capital de pas moins de trois mil-lions pour pouvoir toucher un tel revenu de ses gains. Vous connaissez beaucoup de personnes de la classe moyenne qui possèdent une telle somme ?

 

Quant aux PME, des politiciens de droite ont beau parler de leur situation la larme à l’œil (ils pensent d’ailleurs aux PME surtout quand ils sont en train de défendre leurs intérêts véritables), les « PME » qui seraient touchées sont des entreprises certes « familiales », mais quant au fond des grandes entreprises, dont le capital est suffisamment conséquent pour rapporter des gains importants. Pas spécialement les petites épiceries ou les paysans. En vérité, ce qui écrase surtout les PME, c’est le libre-échange, la concurrence intenable face au grand capital. Mais, lorsqu’il est question de ces enjeux-là, les politiciens de droite ne se rappellent guère leur amour pour les PME…En outre, s’ils ne veulent surtout pas toucher aux classes « moyennes » et aux PME, ils auraient toute latitude le cas échéant de fixer le montant à partir duquel les gains du capital seraient imposés à hauteur de 150%.

 

Les gains du capital ne sont certes pas obtenus « sans rien faire » (si le Conseil fédéral y tient), mais sont extorqués aux travailleurs au travers de la plus-value. Toute richesse est pro-duite par le travail. Le capital ne produit rien. Les « investisseurs » ne font qu’investir du travail passé, pour lequel ils n’ont en rien contribué, pour exploiter du travail vivant, et empocher la plus-value au passage. L’accumulation proprement stratosphérique des fortunes entre quelques mains suffit à montrer que le taux d’exploitation est devenu réellement scandaleux. Pendant que l’ancien patron d’Amazon s’amuse à s’envoyer dans la haute atmosphère pour son seul plaisir, sur l’argent extorqué à ses employés par de méthodes dignes du XIXème siècle, et se permet encore de donner des pseudo-leçons d’écologie au monde, alors qu’il n’est pas le dernier responsable de la peu engageante situation actuelle, des centaines de millions de personnes ne mangent pas à leur faim, des milliards vivent dans la pauvreté. En Suisse même, un million de personnes vivent dans la pauvreté ou dans le risque d’y tomber. Trop de personnes vivent avec des salaires trop bas, ou de petites retraites. Les primes d’assurance maladie sont insoutenables, et les services publics depuis trop longtemps au régime sec. L’argent pour résoudre tous ces problèmes est là…il s’est accumulé dans les poches des 1%. Cette situation est intolérable, et ne saurait durer. Et il ne peut exister de démocratie véritable quand un tel pouvoir économique, aisément convertible en pouvoir tout court, est incompatible avec une démocratie véritable.

 

Le Parti du Travail soutient résolument l’initiative 99%, en tant qu’exigence d’un minimum de justice sociale. Il ne saurait pour nous s’agir que d’un premier pas. La lutte devra continuer jusqu’à la dépossession de la bourgeoisie de son pouvoir économique, jusqu’à la construction d’une société socialiste.

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