06 février 2017

RIE III : non à un cadeau fiscal scandaleux au grand capital !




Un couplet hélas trop souvent oublié de l’Internationale – mais qu’il faudrait chanter plus souvent – dit :

« L'état comprime la loi triche 

L'impôt saigne le malheureux 

Nul devoir ne s'impose aux riches 

Le droit du pauvre est un mot creux 

C'est t'assez languir en tutelle 

L'égalité veut d'autres lois 

Pas de droits sans devoirs dit-elle

Egaux pas de devoirs sans droit »

Ce couplet, il faudrait en effet le chanter plus souvent, tant il répond de façon criante à des enjeux brûlants d’actualité. Il est notamment impossible de ne pas l’avoir en tête quand on pense à la troisième réforme de l’imposition des entreprises, dite RIE III, sur laquelle nous voterons ce 12 février. Pour la droite et le patronat, il s’agit de la « mère de toutes les batailles ». Ils ont mis les grands moyens pour ce qu’il convient d’appeler un matraquage en bonne et due forme. De dépliants tout-ménage à répétition, aux affiches omniprésentes, en passant par les annonces presse et vidéos youtube, pour un message simple (simpliste) : le peuple DOIT voter la RIE III, « there is no alternative », la RIE III ou le chaos, l’apocalypse, les cartes de rationnement, la famine, la grande peste…M. le conseiller d’Etat Dal Busco s’est même senti autorisé à faire la promotion de la RIE III dans un courrier officiel envoyé à tous les contribuables. Pourtant, nous sommes en démocratie, du moins à ce qu’il paraît, et normalement le peuple souverain a non seulement le droit, mais aussi le devoir de juger par lui-même, en connaissance de cause, des décisions qui sont de sa compétence, et devrait, logiquement, fort peu goûter le chantage ou qu’on lui ordonne quoi voter. Or, il y a de quoi y regarder de plus près…

4,6 milliards de pertes fiscales annoncées, au moins !

Pourquoi la RIE III ? La raison officielle est que jusqu’à ce jour la Suisse a pratiqué un double système d’imposition pour les entreprises. Les entreprises Suisses payaient comme il se doit le taux normal, par exemple 22,5% d’impôt sur le bénéfice à Genève. Mais pour attirer des multinationales étrangères on leur offrait sur mesure un taux d’imposition préférentielle, qui pouvait être équivalent à la moitié, voire nettement moins, de ce qu’elles auraient payé normalement. Un système de passe-droit qui évoque le bon vieux temps des privilèges de la noblesse d’Ancien Régime…Certains cantons – Genève, Vaud, Bâle, Zoug – ont massivement usé et abusé de ce système. D’autres n’y ont presque pas eu recours. Mais toutes les bonnes – et les mauvaises – choses ont une fin. L’OCDE n’est plus disposée à tolérer ce qui constitue un cas patent de concurrence déloyale et exige que toutes les entreprises en Suisse soient taxées au même taux, ce qui serait la moindre des choses. Evidemment, il serait juste et légitime que ce système des privilèges scandaleux tombe. La seule question est : de quelle façon ? Le plus juste et le plus logique aurait été de simplement abolir tous les taux préférentiels, pour soumettre toutes les entreprises au taux normal. Ou du moins mettre un taux à mi chemin entre celui que payent les entreprises suisses, et celui que payent les sociétés « à statut », pour qu’au moins il n’y ait pas de pertes fiscales.

Evidemment, ce n’est pas la solution qu’a choisi la majorité de droite des chambres fédérales. La logique de la droite était : s’il faut mettre toutes les entreprises au même régime, qu’ainsi soit-il ; mais si on augmentait les taux d’imposition des multinationales, elles pourraient partir sous d’autres cieux, et on perdrait ainsi la totalité des impôts qu’elles versent ; alors, puisqu’il faut mettre tout le monde au même taux, mais de façon à ce que les sociétés à statut ne payent pas plus, c’est simple, il suffit de mettre pour tout le monde un taux bas, et d’abaisser ainsi l’impositions des entreprises suisses – qui n’en demandaient pas tant – au même niveau que les sociétés à statut. Outre le taux d’imposition en tant que tel, la RIE III prévoit moult possibilités de déductions diverses et variées, grâce auxquelles certaines multinationales payeraient encore moins qu’avant.

Sauf que tout ceci à un coût très lourd : 4,6 milliards de pertes fiscales par an à prévoir ! Dont 1,6 milliards pour la Confédération, et près de 3 milliards pour les cantons et les communes. Il s’agit de montants énormes. Un manque à gagner de recettes fiscales qu’il faudra bien compenser par de nouvelles coupes importantes dans les prestations, dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les prestations sociales, dans les transports publics. Des coupes dont souffriront avant tout les classes populaires. Ainsi les simples travailleurs auront des transports publics plus chers et moins fréquents, des écoles délabrées, des hôpitaux encore plus saturés, des droits en moins, bref devront se serrer encore plus la ceinture, tout ça pour que quelques gros actionnaires puissent s’acheter des yachts et des jets privés supplémentaires.

Et il s’agit là d’une estimation basse. Les pertes réelles seront sans doute de beaucoup fois plus élevées. On n’a pas oublié en effet le mensonge flagrant auquel la droite avait eu recours pour faire passer la RIE II.

Rappel : le mensonge de la RIE II

Le 24 février 2008, le peuple suisse avait accepté à 20'000 voix près seulement la réforme de l’imposition des entreprises II. La droite et le Conseil fédéral ont vendu la réforme au peuple en prétendant qu’elle serait « bénéfique pour l’économie » et ne coûterait pas si cher : près de 80 millions par an d’après feu l’ancien conseiller fédéral radical Hans-Rudolph Merz. Pourtant, après que la RIE II fut passée, le Conseil fédéral fut forcé d’admettre que les pertes fiscales sont en réalité de près d’un milliard par an. Et c’est sans doute encore une estimation basse. D’après une étude de l’USS, les pertes se monteraient à plus de 2 milliards par an, sans compter près de 2 milliards de manque à gagner cumulé pour l’AVS. Saisi par un recours du Parti socialiste, le Tribunal fédéral lui-même admit que le Conseil fédéral avait sciemment menti et que ce mensonge avait certainement influencé le résultat. Le Tribunal fédéral renonça néanmoins à faire annuler la votation. Ce sont là les beautés de la démocratie bourgeoise…

La RIE II fut-elle au moins bénéfique pour l’économie. L’Administration fédérale des contributions fut forcée d’admettre que les avantages de la RIE II pour la place économique suisse « n’ont pas pu être chiffrés ». En clair, elle n’a aucune preuve que la RIE II a eu le moindre effet bénéfique. Elle s’obstine néanmoins à affirmer que : "L'économie bénéficie de l'accumulation du capital par les entreprises, ce qui mène à davantage d'investissement". Et qu’en sait-elle, puisqu’elle n’a pas pu chiffrer l’influence de la RIE II sur l’accumulation du capital des entreprises ? Il ne s’agit nullement d’une preuve, mais d’une simple récitation obtuse et idéologique au pire sens du terme du dogme néolibéral. L’USS par contre estime que la RIE II n’a pas vraiment profité aux entreprises, mais seulement à leurs actionnaires. Mais si les prétendus effets bénéfiques de la RIE II sur l’économie sont au mieux fantomatiques, les ravages qu’elle a occasionnés dans les finances publiques sont douloureusement tangibles. De quoi y réfléchir sérieusement avant même d’envisager de voter pour la RIE III.

Non pas une nécessité, mais un pur cadeau aux privilégiés

Mais sans la RIE III ce serait le chaos, nous dit-on. Allons, on devrait depuis longtemps être immunisé contre cet argument depuis que la droite en use et abuse pour tout et n’importe quoi. Rappelons tout de même que pour ce qui est de la charge fiscale globale sur les entreprises, la Suisse resterait très compétitive, même sans les privilèges fiscaux dont jouissent aujourd’hui les sociétés à statut, même sans la RIE III. Du reste la charge fiscale, n’est qu’un critère parmi d’autres pour l’implantation des entreprises. D’après le Département fédéral des finances lui-même : « L’attractivité d’un lieu d’implantation dépend de plusieurs facteurs. Les conditions cadres comme la stabilité politique, de bonnes infrastructures ou un marché du travail fonctionnel avec des travailleurs et travailleuses qualifié-e-s sont extrêmement importantes ». De tous ces critères les privilèges fiscaux n’arriveraient qu’en huitième position. Donc si la RIE III devait être balayée par le peuple, ce ne serait pas encore l’apocalypse. De fait, toutes les prévisions catastrophistes de nos adversaires sont basées sur l’hypothèse qu’en cas de refus de la RIE III, 100% des sociétés à statut s’en iraient. Il s’agit d’une hypothèse purement gratuite.

En voilà de quoi répondre aux « arguments » des partisans de la RIE III. Mais, pour prendre un peu de hauteur, le projet économique – celui de la droite – de faire marcher l’ « économie » en offrant sans cesse des privilèges supplémentaires aux plus riches, pour rester « compétitifs », ce projet est-il seulement un projet d’avenir ? Seuls les plus riches peuvent se contenter d’un Etat pauvre, parce qu’il n’ont pas besoin de ses prestations, ni des services publics. Mais les politiques d’austérité que ne manquerait pas d’occasionner la RIE III rendraient inévitablement les conditions de vies des classes populaires de notre pays encore plus difficiles. En réalité, il s’agit non pas d’une nécessité économique, mais d’une politique de classe, d’une redistribution des richesses du bas vers le haut. Il ne suffit pas apparemment au 1% des possédants de posséder la moitié de la richesse mondiale. Ils voudraient avoir aussi l’autre moitié. La continuité de ces politiques aurait pour effet de nous mener à une société qui ne serait hospitalière que pour une toute petite minorité d’ultra-riches…au prix de la précarité, de la misère pour tous les autres. C’est pourquoi nous devons résister fermement aux litanies hypocrites sur le « there is no alternative », et lutter résolument pour une autre société, qui ne tourne pas autour du profit de quelques possédants, mais soit au service du bien-être de tous ses membres. Ce n’est certes pas un combat facile, mais il est absolument et vitalement nécessaire, ne serait-ce que parce que l’autre voie, celle de l’accommodement au capitalisme, n’apportera que le malheur au plus grand nombre.

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