25 mars 2019

La République des conseils de Bavière et les communistes




La connaissance de l’histoire n’est pas qu’une affaire d’historiens. Elle est indispensable pour comprendre le présent, et tracer la voie de l’avenir. Sans passé il ne peut y avoir d’avenir. Le Parti du Travail attache une importance considérable à l’histoire du mouvement ouvrier et communiste, comme de tous les mouvements des classes populaires pour leur émancipation, depuis le début de l’histoire connue et sur toute la planète. Le mercredi 20 mars, nous recevions Hermann Kopp, historien et président de la Fondation Marx-Engels en Allemagne, venu pour faire une conférence, passionnante et instructive, sur un épisode pas toujours connu de l’histoire du XXème siècle. Nous en résumerons les éléments essentiels pour nos lecteurs.

La Bavière à l’heure de la Révolution de Novembre

Au mois de novembre 1918, une révolution prolétarienne balayait le régime de Guillaume II en Allemagne, mettant ainsi fin au IIème Reich et à la Guerre. La dictature militaire qui avait cours pendant la guerre s’effondre, l’ordre bourgeois vacille et des conseils d’ouvriers et de soldats se mettent en place. La malheur de la révolution allemande fut de ne pas avoir eu de parti révolutionnaire à sa tête, qui aurait su la mener jusqu’au bout. De ce fait, elle s’arrêta à mis chemin, et confia son destin aux dirigeants du SPD, le parti social-démocrate allemand, qui ne firent semblant de la rejoindre que pour la trahir, aider la réaction à se réorganiser, pour ensuite noyer la révolution dans le sang. Il n’y en eut pas moins plusieurs tentatives de ne pas laisser la révolution mourir, de la pousser jusqu’au bout, jusqu’à une authentique révolution socialiste. La dernière, et la plus radicale, de ces tentatives eut pour théâtre la Bavière.

La Bavière ne semblait pourtant pas prédestinée à être à l’avant-garde de la révolution. C’était alors une région encore très rurale et peu industrialisée, dominée par le catholicisme politique – incarné par le BVP (Parti populaire bavarois), l’ancêtre de la CSU. La révolution y débuta néanmoins 2 jours avant Berlin. Et elle avait à sa tête Kurt Eisner, membre de l’USPD (scission du SPD unie essentiellement par son opposition à la guerre), qui était résolu de faire triompher effectivement la révolution. Il refusa de coopérer avec les anciens dirigeants militaires, et soutint activement le développement des conseils crées au cours de la révolution, en qui il voyait l’embryon d’une authentique démocratie populaire. Cependant, les efforts d’Eisner étaient contrecarrés par le SPD, qui était majoritaire dans son cabinet. Lors des élections au Landtag de Bavière, tenues le 12 janvier 1919, le BVP arriva en tête, suivi du SPD, alors que l’USPD avait subi un échec retentissant. Eisner accepta de démissionner, mais fut assassiné par un extrémiste de droite alors qu’il était sur le chemin du Landtag, lettre de démission en poche.

La « Deuxième Révolution »

L’assassinat de Kurt Eisner conduisit à la « deuxième révolution », partie d’un mouvement essentiellement spontané de la classe ouvrière. Une grève générale de plusieurs jours éclata dans toute la Bavière, de nouveau conseils ouvriers virent le jour, et ceux existant déjà changèrent de caractère, décidant d’êtres désormais des organes d’un nouveau pouvoir populaire, et non plus des courroies de transmission du SPD. A Munich, un congrès des conseils d’ouvriers, soldats et paysans de Bavière se réunit pour trouver une solution de crise. Le SPD y était encore majoritaire, mais même sa base s’était radicalisée. Malgré des divergences, le congrès se proclama pouvoir législatif suprême de Bavière. Une solution de compromis proposée par le SPD fut votée, afin de conjurer le danger de guerre civile : la constitution d’un gouvernement 100% socialiste, dominé par le SPD. Le Landtag accepta. Un ministère socialiste fut donc constitué. Mais il ne satisfit pas les ouvriers, car, contre les problèmes pressants dont souffrait le peuple – chômage, faim et pénuries de logement et de charbon – le gouvernement ne fit pas grand chose.

Face à la déception provoquée par le gouvernement socialiste, prit forme un mouvement populaire pour la république des conseils, qui exigeait que les conseils assument désormais la totalité du pouvoir. La radicalisation de la classe ouvrière, ainsi que de la base de l’USPD et du SPD, progressait rapidement. Les ministres sociaux-démocrates eux-mêmes se sentirent contraints de se rallier. Le 7 avril 1919, la République des Conseils fut proclamée dans pratiquement toute la Bavière. Cependant, le gouvernement social-démocrate se réfugia à Bamberg, ville de province extrêmement conservatrice, afin de préparer l’étouffement économique et la défaite militaire de la révolution.

La République des Conseils

La République des Conseils existait donc désormais. Le KPD (Parti communiste d’Allemagne) allait y jouer un rôle essentiel. Le KPD fut fondé au tournant 1918-1919. Au début, il ne comptait que très peu de membres en Bavière, et était à peine identifiable dans la galaxie de la gauche radicale avant mi-mars 1919. Cependant, il grandit très rapidement, passant d’une centaine à plusieurs milliers de membres en quelques mois, au point de devoir finir par édicter des règles pour mieux contrôler les nouvelles adhésions. Cette croissance était due principalement à l’activisme du nouveau parti, soutien inconditionnel du système des conseils, et prônant une république des conseils immédiatement. Il avait alors à sa tête des dirigeants aux tendances gauchistes, notamment son président, Max Levien. La direction centrale du KPD décida alors, à la mi-mars, d’envoyer plusieurs représentants à Munich, dont Eugen Leviné, pour convaincre la section bavaroise de tempérer son activisme par une stratégie fondée sur une évaluation plus réaliste du rapport de forces et orientée sur un objectif de conquête à terme de la majorité de la classe ouvrière.

Eugen Leviné s’est concentré sur la réorganisation du KPD, le renforcement de sa discipline et de son implantation dans la classe ouvrière. Il parvint à convaincre ses camarades de donner la priorité aux tâches immédiates qu’aux grandes espérances d’avenir, qu’une révolution socialiste ne pouvait survivre dans la seule Bavière, trop dépendante du reste de l’Allemagne, et ne pourrait triompher avant que la classe ouvrière ne se réorganise pour la lutte dans tout le Reich, qu’une proclamation immédiate d’une république des conseils ne serait qu’aventurisme condamné à la défaite. Il fut élu rapidement président du KPD. Max Levien en resta le dirigeant le plus connu, mais changea de discours. Cependant, la nouvelle orientation du KPD ne fut pas de suite remarquée, si bien que cela fut une surprise quand une délégation du KPD déconseilla la proclamation immédiate de la République des Conseils et les postes de commissaires du peuple offerts. La République des conseils fut néanmoins proclamée.

Elle était dirigée par un Conseil central révolutionnaire provisoire, dont les membres étaient sincères, mais dépourvus de vision stratégique ; et se contentaient de fait de déclarations verbales. Ils laissèrent néanmoins une latitude maximale aux Conseils ouvriers. La bourgeoisie prit si peur qu’elle consentit des concessions majeures : hausses spectaculaires des salaires et réduction des heures de travail. C’est pourquoi les ouvriers s’identifièrent à la République des conseils, et les mises en garde du KPD ne furent pas écoutées. Mais, quelques jours à peine après la proclamation de la République des conseils, le gouvernement socialiste réfugié à Bamberg tenta un coup d’Etat contre-révolutionnaire, qui parvint à arrêter plusieurs membres du Conseil central révolutionnaire provisoire, mais échoua face à la résistance armée des ouvriers de Munich. Il fut par contre un succès à d’autres endroits de la Bavière. Une réunion des conseils d’entreprises et des casernes désigna alors un nouveau gouvernement révolutionnaire, un comité exécutif, formé de 3 membres du KPD, un de l’USPD, et un du SPD. Leviné, malgré ses réticences initiales, accepta d’en prendre la tête. Cette période est souvent appelée la « République communiste des conseils », bien que le KPD demeurât en fait minoritaire au sein des comités d’entreprises, auxquels le comité exécutif devait rendre quotidiennement des comptes.

Le gouvernement Leviné prit les mesures d’urgences qui s’imposaient pour tenter de sauver la révolution : distribution de 20'000 fusils aux ouvriers, constitution d’une armée rouge, remplacement de la police par une garde rouge, interdiction des journaux bourgeois, mise en place de tribunaux révolutionnaires, contrôle du trafic et surveillance des communications ; réquisition des banques et des réserves d’argent, réquisition des stocks de nourriture, distribution des logements vides et usines placées sous contrôle des comités d’entreprises. Ces tâches ne purent être réalisées que dans la mesure où le gouvernement communiste bénéficiait d’un soutien massif et d’une participation enthousiaste de la classe ouvrière. De fait, il accomplit plus pour les ouvriers dans le bref laps de temps dont il disposa que tous les gouvernements précédents, bourgeois et « socialistes » réunis.

De la contre-révolution au nazisme

La réaction était déterminée à écraser cette « ulcère rouge » avant qu’elle ne puisse se propager. Le ministre « socialiste » Gustav Noske envoya contre la République des conseils de Bavière ses corps francs, formés de la pire racaille d’extrême-droite. Malgré une résistance héroïque, la lutte était inégale. La République des conseils fut noyée dans un horrible bain de sang, ponctué d’innombrables assassinats, souvent accomplis de la manière la plus barbare, et de milliers de condamnations à mort, après des simulacres de procès. Eugen Leviné déclara au sien « nous les communistes sommes toujours des morts en sursis ». Il fut fusillé le jour même.


Le SPD avait accompli son sale boulot et, comme au niveau du Reich, la contre-révolution triomphante n’avait plus besoin de lui. Moins d’une année après l’écrasement de la République des conseils, le SPD et chassé sans ménagement du gouvernement. La Bavière était désormais tenue en main par la pire réaction. D’épicentre de la révolution qu’elle fut, la Bavière devint le foyer du mouvement nazi.

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