07 septembre 2020

Un regard à contre courant sur l’ancienne RDA et sa liquidation



Pour une fois qu’un livre publié aux éditions Delga – une excellente maison d’édition communiste française, hélas insuffisamment diffusée – est disponible à la librairie Payot, au rayon histoire, nous ne pouvions pas ne pas vous le recommander. Surtout qu’il ne s’agit pas de n’importe quel livre. L’ouvrage en question, ce sont les Carnets de prison, rédigés par Erich Honecker, ancien secrétaire général du SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne, le parti au pouvoir en ex RDA), en 1992, à la prison de Moabit ; la même où, jeune antifasciste, il fut incarcéré sous le Troisième Reich. Erich Honecker y était alors poursuivi par la justice de la RFA dans le cadre d’un procès scandaleusement politique et revanchard. L’accusation s’est complètement discréditée, et Erich Honecker fut libéré et put finir ses jours au Chili, bien que l’incarcération ait porté une atteinte irrémédiable à sa santé.

Dans ses Carnets de prison, Erich Honecker revient sur les circonstances de la liquidation de la RDA, mais aussi sur ses réalisations, que la restauration du capitalisme a balayé. Une lecture salutaire, ne serait-ce que comme contre-point à la propagande écœurante à la gloire de la « réunification » – élégant euphémisme pour parler de l’annexion pure et simple de la RDA par la RFA, dont le droit et les institutions furent rayés d’un trait de plume, les réalisations brutalement mises au rebut, et les habitants traités en citoyens de seconde zone – et de la restauration du capitalisme. Le mécontentement  persistant en ex RDA suffirait à invalider ce récit.

Le propos d’Erich Honecker a le mérite de se placer à contre-courant du récit dominant : « On ne trouvera pas dans ces pages la moindre concession à la société capitaliste d’exploitation, à son idéologie et à sa “morale“ ». Car, malgré toutes les épreuves, il n’a rien renié de ses convictions (est-il nécessaire de souligner qu’il était tout sauf un apparatchik sans principes ?) : « J’ai été durement touché par l’effondrement de la RDA, mais – comme de nombreux compagnons de lutte – je n’ai jamais perdu ma foi dans le socialisme, seule possibilité de fonder une société humaine et juste. Les communistes appartiennent au camp des persécutés de la terre depuis que le capitalisme existe, mais ils ne sont pas sans avenir ».

Loin de la propagande revanchiste et anticommuniste usuelle, Erich Honecker explique tout le travail réel accompli par les communistes de la RDA, qui ont fait en quarante ans d’un champ de ruines un pays moderne et socialement avancé, ainsi que les circonstances de sa chute. Plutôt qu’un soulèvement spontané du peuple avide de libre marché, ce qui s’est passé, c’est une trahison accomplie sous les auspices de Gorbatchev, qui a poussé d’abord à l’élimination de la vielle garde du SED et à l’ouverture de « réformes », puis au limogeage de ceux qui avaient accompli cette première partie de son plan, faisant du SED un bateau à la dérive, incapable de jouer le moindre rôle actif. Le portrait d’Egon Krenz, successeur d’Erich Honecker à la tête de la RDA, est particulièrement pu flatteur. Nous voudrions nuancer cette impression. Erich Honecker avait sans doute de bonnes raisons personnelles d’en vouloir à son successeur, mais Egon Krenz fut également persécuté par la justice de la RFA, et resta également fidèle à ses convictions communistes et à l’héritage de la RDA

On peut ne pas être d’accord en tout avec l’ancien secrétaire général du SED, on est en droit de considérer que tout n’allait pas pour le mieux en RDA – il reconnaît d’ailleurs lui-même de nombreuses insuffisances, notamment en matière d’écologie – mais sa voix mérite d’être entendue. La conclusion de ses Carnets de prison aurait pu avoir été écrite aujourd’hui :

« Il n’est pas exagéré de dire que le capitalisme s’est empêtré dans un immense nœud de contradictions qui exigent une solution. Si on en reste à la croyance enfantine que « le marché peut tout régler », aucun des problèmes de l’humanité ne sera résolu. C’est pourquoi, inévitablement, de nouvelles forces sociales apparaîtront, qui prôneront et inventeront de nouveaux rapports sociaux ».

« Soit l’humanité sera précipitée dans l’abîme par le capitalisme, soit elle vaincra le capitalisme. Cette dernière solution est la plus vraisemblable et la plus réaliste, car les peuples veulent vivre ».

« Malgré toutes les difficultés et les dangers, malgré la sinistre situation actuelle, je suis et demeure confiant. L’avenir appartient au socialisme ».

Ces mots, nous aurions aussi pu les écrire.

Alexander Eniline

Livre : Honecker Erich, Carnets de prison, Editions Delga, Paris, 2019



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