15 septembre 2019

Discours prononcé lors de la commémoration organisée par le Parti du Travail pour les 50 ans depuis la disparition physique de Hô Chi Minh



Votre excellence l’ambassadrice,

Chères et chers camarades,

J’ai l’honneur, en ma qualité de président de la section cantonale genevoise du Parti Suisse du Travail, d’ouvrir la présente commémoration en l’honneur d’un grand homme qui porta de nombreux noms au cours de sa vie, mais restera à jamais dans l’histoire sous un nom qui n’était pas son nom de naissance, mais le dernier pseudonyme qu’il s’était choisit, et sous lequel il était connu lorsqu’il quitta ce monde, il y 50 ans de cela, le 2 septembre 1959. Cet homme, c’était bien sûr Hô Chi Minh, qui fut successivement militant pour l’émancipation nationale de son pays, le Viet Nam, qui était alors une colonie opprimée par l’impérialisme français, militant socialiste, à la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière), militant communiste au PCF, cadre du Komintern, militant et organisateur révolutionnaire, fondateur du Parti communiste Indochinois, qui allait devenir le Parti communiste du Vietnam, président de la République démocratique du Vietnam enfin. C’est en tant que détenteur de cette haute fonction qu’il quitta ce monde. Sous sa direction, le peuple vietnamien parvient à secouer le joug séculaire du colonialisme, vaincre deux puissants impérialismes, l’impérialisme français d’abord, l’impérialisme étatsunien ensuite (bien que la victoire finale et la réunification du Vietnam n’aient été accomplies que quelques années après le décès de Hô Chi Minh), et jeter les bases d’une société socialiste. L’exemple de la lutte héroïque du peuple vietnamien montrait clairement que l’impérialisme pouvait être vaincu, qu’il était possible pour tous les peuples de se libérer des chaînes de l’oppression coloniale et néocoloniale, de s’engager sur la voie du socialisme. Hô Chi Minh était alors une véritable légende vivante.

C’est ce qui a fait écrire à Ernesto « Che » Guevara la célèbre phrase de son Message à la Tricontinentale, en 1967 :

« Comme nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux, si deux, trois, plusieurs Vietnam fleurissaient sur la surface du globe, avec leur part de morts et d’immenses tragédies, avec leur héroïsme quotidien, avec leurs coups répétés assénés à l’impérialisme, avec pour celui-ci l’obligation de disperser ses forces, sous les assauts de la haine croissante des peuples du monde ! »

L’exemple de Hô Chi Minh et de la lutte de libération du peuple vietnamien était tout autant une source d’inspiration pour le Parti Suisse du Travail. Notre Parti avait joué un rôle majeur dans les mobilisations en Suisse contre l’invasion étatsunienne du Vietnam. Je profite de cette évocation du passé pour dire à quel point nous sommes honorés de la présence parmi nous à cette occasion de représentants de la République socialiste du Vietnam, et rappeler l’importance qu’ont à nos yeux nos relations de solidarité internationaliste avec le Parti communiste du Vietnam.

Pour ma part, je voudrais aujourd’hui insister sur un aspect de l’héritage théorique et révolutionnaire de Hô Chi Minh, qui en fait une figure tout aussi essentielle pour les communistes de Suisse que pour ceux du Vietnam. C’est d’autant plus essentiel, je pense, que la pensée de Hô Chi Minh reste souvent insuffisamment connue et étudiée en Occident. A ce titre, je vous recommande l’ouvrage Ho Chi Minh. Ecrits et combats, sélection d’œuvres de Hô Chi Minh, compilées et annotées par Alain Ruscio, et publiées cette année aux éditions Le temps des cerises.

Ce qui fait la cohérence, le fil rouge de l’engagement de Hô Chi Minh, de la SFIO, en passant par le PCF et le Komintern, jusqu’au Parti communiste indochinois et la présidence de la République démocratique du Vietnam, c’est l’importance accordée à l’internationalisme, dont il a pleinement compris le vrai sens et le rôle incontournable.

Hô Chi Minh a le mérite d’avoir pris au sérieux et donné la place centrale aux propos suivants de Karl Marx : « L’expérience a montré que le dédain de l’alliance qui doit exister entre les travailleurs des différents pays et les inciter à se soutenir fermement dans la lutte de libération, a pour châtiment la défaite générale de leurs forces dispersées. »

Une question qui n’avait, avant la Révolution d’Octobre, pas été réellement intégrée par le mouvement ouvrier et socialiste. La Ière et la IIème Internationales étaient en pratiques actives seulement dans les pays d’Europe et d’Amérique du Nord. La IIème Internationale, en particulier, était frappée d’un biais eurocentrique, qui de facto limitait la lutte pour le socialisme à la classe ouvrière des pays développés, allant de pair avec un désintérêt pour le sort des peuples soumis au joug colonial, qui se traduisait trop souvent par des revendications se limitant à quelques adoucissements du régime colonial (avec acceptation de fait du mythe de la « mission civilisatrice » de l’Occident), voire par une complaisance, quand ce n’est à un soutien ouvert à ce système (ce qui était le cas, par exemple, de Léon Blum et de Gustav Noske). L’internationalisme se traduisait trop souvent en cosmopolitisme et en universalisme abstrait, qui cachait mal un eurocentrisme de fait. Cette Internationale ne pouvait pas du fait de cette lacune être vraiment révolutionnaire, et tomba dans l’opportunisme, le social-impérialisme, et un nationalisme virulent lorsque fut déclenchée la Première Guerre mondiale.

Ce fut le grand mérite de l’aile gauche, révolutionnaire, de cette Internationale, comme Lénine, mais aussi Hô Chi Minh, d’avoir dénoncé à temps ces dérives, et, après la trahison irrémissible du vote des crédits de guerre, poussé à la rupture avec ce modèle failli, et œuvre à la constitution d’un mouvement communiste international fidèle à sa mission révolutionnaire.

Mais même la nouvelle IIIème Internationale gardait quelques reliquats des mauvaises habitudes de la IIème : un certain eurocentrisme, la croyance que la révolution devait venir de pays développés, voire un manque d’intérêt pour la question coloniale dans les partis communistes des métropoles.

Ce fut le grand mérite historique de Hô Chi Minh d’avoir défendu, systématisé et poussé plus loin encore la révision du marxisme conformément aux nouvelles réalités accomplie par Lénine, d’insister sur la nécessité de l’internationalisme et le potentiel révolutionnaire des peuples soumis au joug de l’impérialisme.

Il pouvait écrire dans un rapport adressé au Komintern, 1924 : « Marx a bâti sa doctrine sur une certaine philosophie de l’histoire. Mais quelle histoire ? Celle de l’Europe. Mais qu’est-ce que l’Europe ? Ce n’est pas toute l’humanité »

L’image célèbre utilisée par Hô Chi Minh est celle, tirée de la mythologie grecque, de l’hydre à plusieurs têtes. En couper l’une ne sert à rien, car une autre repoussera aussitôt. La seule façon de la tuer est de les couper toutes en même temps. Cette hydre est l’impérialisme, qui repose à la fois sur l’exploitation des classes ouvrières des métropoles et celle des peuples des colonies. S’il est mis en difficulté dans un de ces domaines, il peut se remettre sur ses pieds grâce à l’autre. La lutte de classe en Orient et en Occident, au Nord comme au Sud, n’en fait qu’un. Les peuples du monde doivent s’unir pour lutter et vaincre ensemble, ou bien être tous vaincus ensemble.

Hô Chi Minh reste une référence pour nous aussi. Bien que la Suisse n’ait jamais eu de colonies (si l’on fait abstraction du fait que certains territoires devenus des cantons depuis la chute de Napoléon furent des possessions assujetties à d’autres cantons), des capitaux suisses furent investis dans le commerce des esclaves, et dans la colonisation ensuite. La Suisse est aujourd’hui un important exportateur de capitaux, ce qui en fait, par définition, un pays impérialiste. Le Parti Suisse du Travail n’a jamais oublié le fait que, dans la chaîne de l’impérialisme, les multinationales suisses sont des prédateurs au sommet de la chaîne. Notre Parti s’est toujours efforcé d’être à la hauteur de son devoir internationalisme.

Comme l’avait dit un autre grand internationaliste, Fidel Castro, le 5 décembre 1988 : « En tant qu’internationalistes, nous remboursons notre propre dette envers l’humanité. Celui qui n’est pas capable de se battre pour les autres ne serait jamais en mesure de se battre pour lui-même »

Cette ligne fermement internationaliste et anti-impérialiste demeure aujourd’hui la nôtre, et c’est dans les mots suivants qu’elle est transcrite dans le programme électorale que le Parti Suisse du Travail a adopté pour les élections fédérales du 20 octobre prochain :

« Le capitalisme est toujours synonyme de guerre. Les multinationales ont soif de matières premières et de main-d'œuvre bon marché dans les pays en voie de développement et y mènent sans cesse des assauts. Avec des expressions comme "intervention humanitaire", ils passent sous silence leurs agressions militaires.

Les guerres d’agression et les interventions dans d'autres pays, ne servent que les intérêts économiques des dirigeants et dirigeantes du pays agresseur. La première victime de cette barbarie est toujours la population civile. Depuis sa fondation en 1944, le PST-POP s'est engagé pour la paix mondiale entre les peuples. Aujourd'hui encore, il est important de développer et de promouvoir une politique de paix globale. Nous nous opposons à la course aux armements, à l'ingérence dans d'autres pays et à la participation de l'armée suisse aux guerres impérialistes. Nous défendons donc le droit des peuples à l'autodétermination contre toute ingérence. Seuls les peuples eux-mêmes peuvent choisir leur voie de développement. »

Je finirai par la citation d’un grand révolutionnaire et révolutionnaire d’un autre continent, l’Afrique ; plus précisément de Thomas Sankara : « L’esprit de liberté, de dignité, de compter sur ses propres forces, d’indépendance et de lutte anti-impérialiste doit souffler du Nord au Sud, du Sud au Nord et franchir allégrement les frontières ».


Nous commémorons aujourd’hui le souvenir de Hô Chi Minh pour la mémoire du passé, mais aussi pour éclairer les luttes d’aujourd’hui.

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