02 septembre 2019

Quand l’Amazonie brûle, le Conseil fédéral signe un accord de libre-échange aves les incendiaires




A l’heure où les rapports du GIEC et les grèves pour le climat nous rappellent que les changements climatiques d’origine anthropique en cours exigent une action forte et urgente, si nous voulons éviter le pire, ceux qui détiennent vraiment le pouvoir non seulement n’agissent à la hauteur de ce que la situation l’exigerait, mais, pour certains d’entre eux, font en sorte de l’aggraver de beaucoup encore.

Pendant que l’on discute chez nous quelles mesures il faudrait prendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre – entre mesures législatives plus ou moins ambitieuses et petits gestes individuels à l’impact plus ou moins significatif – la forêt vierge d’Amazonie est en feux, des feux d’une surface plusieurs fois supérieure à celle de la France. Les médias bourgeois d’ici ont étrangement attendu près de trois semaines avant d’en parler. Et malheureusement, les feux de forêt en Amazonie ne sont pas les seuls sur la planète. En Afrique, c’est une zone encore plus grande qui est atteinte. Hélas, cela n’a rien d’habituel dans cette partie du monde. Du fait des facteurs conjugués de la sécheresse, du réchauffement climatique, et de la technique traditionnelle de la culture sur brûlis, l’Afrique est le continent le plus touché par la déforestation. En Asie du Sud-Est, la déforestation est un problème endémique. Et, du fait du réchauffement climatique, les forêts boréales sont également touchées par des incendies catastrophiques.

Mais les feux en Amazonie ont tout de même provoqué une émotion mondiale particulière et pleinement justifiée. D’une part parce que la forêt amazonienne est réputée être le « poumon de la planète », du fait de l’importance de la production d’oxygène et l’absorption du carbone par photosynthèse. Cette expression est certes impropre. D’une part, parce que l’image du poumon n’est pas très bien choisie (un poumon rejette du CO2). D’autre part parce qu’une forêt produit tout autant de CO2 (à travers la décomposition des végétaux morts) qu’elle en absorbe à travers la photosynthèse ; et qu’en matière de photosynthèse, l’impact du phytoplancton océanique des océans est beaucoup plus grand que celui de toutes les forêts réunies. Et s’il y a assez d’oxygène dans l’atmosphère, c’est du fait du carbone qui a échappé au cycle de la décomposition par la fossilisation. La déforestation ne menace pas la présence en suffisance d’oxygène dans l’atmosphère. Mais les climatosceptiques ont tort de spéculer sur ces faits. Parce que la forêt amazonienne est un puits de carbone majeur, et que sa destruction par le feu rejette du CO2 dans l’atmosphère en grandes quantités, un CO2 qui y restera et ne sera pas réabsorbé dans la photosynthèse. Parce qu’un milieu naturel unique, d’une biodiversité incroyable, disparaîtra à jamais. Parce que la pollution, l’acidification et le réchauffement climatique mettent à mal la capacité de stockage de carbone des océans. Et parce que, en brûlant des hydrocarbures, nous rejetons de nouveau dans l’atmosphère le carbone fossilisé pendant des centaines de millions d’années. Les incendies en Amazonie attirent aussi l’attention parce qu’ils n’ont rien d’habituel…

Des incendies qui n’ont rien de naturel

Des incendies d’une telle ampleur n’ont rien d’habituel en Amazonie, surtout en cette saison. Et la plupart d’entre eux touchent le Brésil, auquel appartient 60% de la forêt amazonienne. Ces feux cataclysmiques ne se sont pas déclenchés à un moment quelconque, mais seulement depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, le président ouvertement fasciste et climatosceptique du Brésil. Bolsonaro n’a rien fait du tout face à la propagation des incendies, est resté de marbre face à ce drame, et a même accusé – sans la moindre once de preuve – les défenseurs de l’environnement de les avoir déclenchés, juste pour lui nuire. Puis il a consenti à prendre quelques mesures ridiculement dérisoires, parce que le Brésil n’aurait pas les moyens d’en faire plus. Mais il a aussi refusé l’aide proposée par les chefs d’Etat du G7, réunis à Biarritz, hurlant au néocolonialisme, et attaquant Emmanuel Macron, le président français, sur le physique de son épouse Brigitte…

De la part de Bolsonaro, il ne s’agit pas seulement de négligence ou de stupidité. Les incendies qui ravagent aujourd’hui la forêt amazonienne n’ont rien de naturel. Ils sont intentionnellement allumés par les hommes de main des entreprises de l’agroalimentaire industriel. Ce dans le but de défricher à grande échelle, pour laisser la place à des champs de soja transgénique, des autoroutes et des exploitations minières ; sans aucun égard pour les conséquences écologiques désastreuses de ce saccage, ni pour les peuples autochtones qui y vivent.  Cette pratique criminelle n’est pas nouvelle, mais elle n’avait jamais atteint une telle ampleur auparavant. Elle n’avait jamais été éradiquée, mais avait reculé de près de 80% sous la présidence de Lula et de Dilma Roussef. Le coup d’Etat parlementaire de Michel Temer avait déjà marqué une nette aggravation. Si on assiste à la tragédie actuelle, c’est que la déforestation, illégale, se fait avec le soutien direct et non dissimulé de Jair Bolsonaro, qui avait promis durant sa campagne de « ne pas mettre de bâtons dans les roues » des entreprises de l’agroalimentaire, et qui, une fois au pouvoir, a drastiquement affaibli les agences de protection de l’environnement, et a laissé carte blanche aux incendiaires.


Remarquons que pendant que Bolsonaro gesticule, Evo Morales, président de gauche de la Bolivie, autre pays touché par les feux, a mobilisé toutes les ressources du pays pour les combattre. De ce fait, les incendies sont en train d’être endigués dans la partie bolivienne de l’Amazonie.

Peu importe à Guy Parmelin

Pendant que l’Amazonie est en flammes, que fait le Conseil fédéral ? Il signe un traité de libre-échange entre l’AELE (zone de libre-échange comprenant la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Lichtenstein) et le Mercosur (bloc commercial latino-américain, dont la plus grande puissance économique est le Brésil). Mauvais timing alors que la forêt amazonienne est en feu ? Pas de quoi émouvoir le conseiller fédéral Guy Parmelin (UDC), qui a déclaré en conférence de presse : "C'est le hasard du calendrier. Je rappelle qu'on négocie depuis deux ans"…"Il y a chaque année des départs de feu en Amazonie [...]. Les négociations sur l'accord avec le Mercosur n'ont rien à faire directement" avec les incendies. Le Brésil représente en revanche un immense marché, précieux pour les industries d’exportation suisses. Bref, l’argent d’abord, la planète peut bien brûler…

Alors que Guy Parmelin ne prend même pas la peine de faire semblant de se préoccuper du sort de la forêt amazonienne en feu, Emmanuel Macron, lui, semble y accorder de l’importance, si ce n’est de faire preuve d’une fermeté bienvenue face à Bolsonaro. Il menace de fait de bloquer la signature d’un accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur (le fera-t-il ? Guy Parmelin n’a au moins pas tort de dire que l’accord pourrait au final tout de même être signé) Mais, en y regardant plus attentivement, il n’est pas plus crédible, à défaut d’être plus hypocrite. La France contrôle également une partie de la forêt amazonienne, en Guyane. Une forêt que Macron veut allègrement déboiser pour laisser place à la Montagne d’or, une immense mine d’or à ciel ouvert, sans même prendre la peine de remarquer les protestations des peuples autochtones. Le montant de 20 millions de dollars que le G7 a proposé au Brésil pour lutter contre les incendies en Amazonie est du reste inférieur…aux coûts liés à l’organisation du somment du G7 à Biarritz !

Quant à Donald Trump, le président ouvertement climatosceptique des USA, il a apporté, à travers son compte tweeter, un soutien total à Bolsonaro, dont il a osé écrire qu'il  « travaille très dur sur les incendies en Amazonie et fait sur tous les plans un beau boulot pour le peuple brésilien » ce qui n'est« pas facile ». De telles déclarations se passent de commentaire…

Ecologie ou agriculture industrielle, il faut choisir

Le problème ne saurait toutefois se réduire à la personne de Jair Bolsonaro, ni à celle de Donald Trump. Ce serait attribuer à des individus ineptes des pouvoirs proprement stupéfiants, fût-ce dans le mal. Si de telles personnes peuvent parvenir au pouvoir suprême, et l’exercer de la façon qu’elles font, c’est parce qu’il y des intérêts puissants derrière, des bases sociales objectives pour le climatoscepticisme, jusque dans ses conséquences criminelles.

Personne, en effet, ne songerait à défricher l’Amazonie si cela ne rapportait pas beaucoup d’argent à quelques uns ; quelques uns qui, justement, font partie des soutiens du président Bolsonaro. Ces « quelques uns », ce sont les propriétaires des entreprises de l’agroalimentaire brésiliennes, qui défrichent la forêt pour la remplacer par des « déserts verts », des champs de soja transgénique, allégrement arrosé d’engrais chimiques et de pesticides de synthèse. Ce qui est notamment nécessaire pour la production industrielle de viande de bœuf…que l’accord de libre-échange permettra d’exporter plus facilement dans les pays de l’AELE (et de l’UE si Guy Parmelin a raison). La concurrence déloyale des produits agricoles des grandes entreprises de l’agroalimentaire du Mercosur menace de ruiner nombre de paysans suisse.

L’accord de libre-échange avec le Mercosur, s’il est ratifié, servira donc d’encouragement à la destruction de la forêt amazonienne, à des dégâts irréversibles à l’environnement, à l’expulsion des peuples autochtones de leurs terres ancestrales, à l’encouragement d’un modèle agricole qui empoisonne les terres comme les consommateurs, et ruine les paysans.
Il n’y aura pas de solution au problème du réchauffement climatique sans prendre aussi en compte l’agriculture. Ce qui implique la rupture avec la logique du libre-échange, pour un protectionnisme solidaire, au service d’une agriculture paysanne, biologique et locale. Le Parti Suisse du Travail s’y engage.

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