17 novembre 2022

Le Kurdistan, plus grande colonie de la planète




Aussi longtemps qu’un peuple viable est enchaîné par un conquérant extérieur, il utilise obligatoirement toutes ses forces, tous ses efforts, toute son énergie contre l’ennemi extérieur. 

Sa vie intérieure est paralysée, il est incapable d’œuvrer à son émancipation sociale.

Karl Marx.

 

L’Histoire, dit-on, commence à Sumer. L’histoire des Kurdes est à peine moins ancienne. Les ancêtres des Kurdes sont évoqués sous le nom de « kardou » dans une tablette sumérienne datant de 3'000 ans avant notre ère. Les Kardous sont évoqués dans des textes assyriens et babyloniens. Hérodote, le « père de l’Histoire », en parle également dans ses Histoires, lorsqu’il traite de la retraite des 10'000. Les Kassites, qui renversèrent Babylone, furent un peuple kurde. Les Hourrites et les Goutis l’étaient également. Les Kurdes iraniens descendent des Mèdes, qui avaient dominé les Perses, avant d’être renversés par Cyrus, fondateur de l’Empire achéménide (dont la Médie restera l’un des trois centres de pouvoir, avec la Perse et l’Élam). A partir de là, les Kurdistan fut soumis à différents empires.

 

Le nom de « kurde » est attesté pour la première fois en 1195, avec les Seldjoukides. Au XIIIème siècle, la région est ravagée par les Mongoles. Le Kurdistan, une province persane auparavant, fut divisé pour une première fois entre Ottomans et Perses, en 1514, après la bataille de Tchaldoran. Ensuite, les frontières bougèrent peu jusqu’au XXème siècle. Le Kurdistan était encore, à l’aube de la Ière Guerre mondiale, un pays essentiellement féodal, divisée en une multitude de seigneuries locales, aux mains d’une aristocratie kurde soumise à ces deux empires. Mais un vent nouveau commençait à souffler, une conscience nationale kurde émergeait progressivement au cours du XIXème siècle, et on y compte même quelques révoltes où des éléments archaïques se mêlaient à des motifs nationaux, dictés par une conscience plus moderne.

 

Le Kurdistan après la Ière Guerre mondiale

 

La Ière Guerre mondiale représenta un tournant dans l’histoire du peuple kurde. Dès avant la fin de la guerre, la France et le Royaume-Uni se mirent d’accord pour démembrer l’Empire ottoman, et de s’en partager les décombres. Les détails en furent scellés dans les accords Sykes-Picot, préparés pendant une année entre 1916 et 1917. Vaincu, l’Empire ottoman fut effectivement mis en pièces, et la partie du Kurdistan qu’il contrôlait fut partagée entre trois pays : la Turquie, la Syrie (sous mandat français) et l’Irak (contrôlé de fait par le Royaume-Uni). La France était opposée à toute indépendance du Kurdistan, par peur de voir sa zone d’influence réduite au profit des Britanniques.

 

Le Kurdistan resta donc une colonie, qui plus est partagé entre quatre pays, dont les régimes politiques sont restés, largement jusqu’à nos jours, des plus archaïques et réactionnaires. Ce caractère archaïque explique que le colonialisme que subirent, et subissent encore, les Kurdes fut des plus brutaux et rétrogrades, mêlant violence policière et militaire, refus de tous droits nationaux – jusqu’à celui de parler leur langue, ou même être reconnus dans leur existence – et civiques des Kurdes. 

 

Le démantèlement de l’Empire ottoman provoqua également un saut qualitatif dans l’émergence d’un sentiment national kurde, d’un mouvement national kurde, d’une lutte déterminée pour la reconnaissance des droits nationaux des Kurdes, pour l’autonomie nationale, avec l’aspiration à la création d’un État-nation kurde. Mais il était presque trop tard pour cela. La planète avait déjà été partagée entre puissances impérialistes, et ni les pays colonialistes locaux, ni les impérialismes occidentaux n’étaient disposés à permettre aux Kurdes de faire leur révolution démocratique bourgeoise. Les tentatives de soulèvement kurdes – qui furent nombreux – furent impitoyablement réprimés, avec des massacres confinant au génocide.

 

Aujourd’hui, le Kurdistan demeure la plus grande colonie du monde, partagée entre quatre États. C’est une région montagneuse de hautsplateaux et de près de 640'000 km2 (on trouve des estimations plus basses, parce que le régime de Saddam Hussein a fait du nettoyage ethnique, et arabisé une partie du Kurdistan irakien). Y vivent près de 45 millions de Kurdes. Du fait de toutes les répressions, la diaspora kurde est nombreuse : 5 millions dans tous les pays occidentaux, dont un million en Allemagne, et près de 70'000 en Suisse. Le problème national kurde demeure entier.

 

Le Kurdistan irakien, une autonomie sans vraie autodétermination

 




On pourrait nous retorquer que, du moins dans le Kurdistan irakien, les Kurdes ont pu atteindre une certaine autodétermination, jouissant, à défaut d’un État indépendant, du moins d’une région autonome. Malheureusement, ce n’est pas tout à fait le cas.

 

Après leur invasion de l’Irak et le renversement de Saddam Hussein, les USA ont imposé une constitution démocratique bourgeoise. Enfin, sur le papier. Car, en pratique, elle n’est ni applicable ni appliquée. L’Irak d’aujourd’hui est un État failli, instable, corrompu, déchiré par des luttes entre clans et factions. Les USA ont sciemment attisé ces tensions, selon la maxime « diviser pour mieux régner ».

 

Le Kurdistan irakien, qui occupe la partie nord de l’Irak, est devenu une région autonome. 98% des votants s’y sont prononcés pour l’indépendance, mais la Turquie et l’Iran ont pu empêcher que celle-ci soit mise en œuvre. Les autorités du Kurdistan irakien veulent organiser un nouveau référendum, que Joe Biden souhaite voir reporté.

 

Le problème est la qualité de cette autonomie, et la nature des forces politiques qui dirigent le Kurdistan irakien. La majeure partie étant aux mains du PDK (Parti démocratique du Kurdistan, qui n’a démocratique que le nom), et, dans les faits, à la botte du clan Barzani, dirigé par Massoud Barzani, qui est toujours le roi sans couronne de cette région, même s’il n’est plus président. La partie sud du Kurdistan irakien est dirigée par l’UPK (Union patriotique du Kurdistan). Mais, au-delà des différences politiques, cette division reflète surtout une différence à base nationale entre les peuples Goran et Soran. 

 

Du reste, le PDK et l’UPK ont établi le même type de régime dans leurs zones respectives : corrompus, autoritaires, au service d’une bourgeoisie compradore, et totalement liés aux USA et à l’Europe, mais aussi à la Turquie, et aucunement solidaires des mouvements kurdes des autres parties du Kurdistan. Le régime de Massoud Barzani n’hésite pas à collaborer avec l’État turc, y compris contre le Rojava. 

 

Massoud Barzani a tiré sa légitimité du fait d’être le fils du général Mahmoud Barzani, qui avait longtemps lutté pour l’autonomie du Kurdistan irakien, et avait dirigé un pays quasiment indépendant durant quelques temps, avant d’être finalement vaincu par le régime de Saddam Hussein. Le général Barzani est resté dans les mémoires comme une figure héroïque, malgré de graves fautes qui ont précipité sa chute : absence de ligne politique claire, recherche d’alliances opportunistes avec l’impérialisme, direction autocratique et incompréhension du rôle d’un parti politique, mentalité largement féodale…Son fils a hérité de tous ses défauts, sans ses qualités et mérites.

 

De ce fait, l’autonomie n’y constitue aucunement une vraie autodétermination. On ne peut même pas parler de voie nationale au capitalisme, ni de la présence d’un capitalisme national. Le Kurdistan irakien reste une région divisée en clans rivaux, avec des caractéristiques semi-féodales. Les recettes du pétrole ne profitent nullement au peuple, dans cette région où les inégalités sont abyssales, et où la pauvreté est massive, pendant qu’une toute petite élite s’enrichit de façon proprement révoltante. Une révolution reste à faire.

 

Le Kurdistan turc, entre luttes et répression continuée

 




A la chute de l’Empire ottoman, la fondation de la République turque avait donné beaucoup d’espoir, aux progressistes turcs comme kurdes. La Constitution de 1924 était démocratique et, pour la première fois, reconnaissait les Kurdes. La Révolution d’Octobre a eu une influence considérable sur le mouvement kurde, comme sur le mouvement ouvrier turc. Un parti communiste fut alors fondé.

 

Mais la République turque prit bientôt un tournant de droite, vers le capitalisme, qui devait l’amener à rejoindre l’OTAN dans l’avenir. Un bateau sur lequel des dirigeants communistes revenaient d’URSS fut coulé par la marine turque. L’État turc prit un tournant de plus en plus autoritaire et répressif, écrasant les révoltes kurdes dans la violence, une violence arbitraire, et, en 1937, quasi-génocidaire. La brutalité de la répression permit de consolider un État national turc, et uniquement turc, en brisant l’opposition pour un temps.

 

Le mouvement européen de mai 68 eut un fort impact en Turquie, qui devint un pays très révolutionnaire, rempli de mouvements de gauche radicale, puissamment organisés et idéologiquement formés. L’influence de l’idéologie marxiste sur les organisations kurdes s’accrut considérablement, de même que l’idée de l’indépendance d’un Kurdistan unifié. Dans ces organisations, on pensait que le Kurdistan avait besoin d’abord d’une révolution démocratique bourgeoise, pour liquider les vestiges du féodalisme,mais une révolution qui soit conduite par la classe ouvrière, avec le socialisme pour perspective.

 

Mais, face à cette montée révolutionnaire, la bourgeoisie turque recourut à la dictature militaire. En 1980, la junte réprima impitoyablement ces mouvements, emprisonnant des milliers de révolutionnaires kurdes. Encore aujourd’hui, il y a des dizaines de milliers de prisonniers politiques kurdes en Turquie. Depuis, et jusqu’à aujourd’hui, l’État turc écrase tout mouvement turc par la force des armes, bombarde, tue, emprisonne. La langue et la culture kurde sont interdites, le turc est imposé, aucunes études kurdes ne peuvent exister. La volonté consciente de l’État est que les Kurdes restent pauvres et analphabètes, car plus faciles à gouverner ainsi.

 

La situation a empiré depuis l’accession au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, et de son parti islamiste, l’AKP. Le but de l’AKP est de liquider la république, et de revenir à un Moyen Age fantasmé, à un État islamique. D’après l’image utilisée par Erdogan, la démocratie est un train ; une fois qu’on a atteint la destination, qui est la théocratie islamique, on en descend. Il a dit également qu’il n’y a pas de différence entre lui et les Talibans, et a en réalité collaboré avec l’État islamique, qui constitue une forme de réalisation de son projet réactionnaire. Son incompétence abyssale en matière économique – il n’a fait que des études religieuses dans une école obscurantiste, son diplôme universitaire étant un faux – doublée à une tentative d’application de théories islamiques à l’économie, a conduit à un véritable désastre, avec une inflation atteignant jusqu’à 300% d’après certaines estimations.

 

Face à ce régime, l’opposition de gauche s’est organisée dans le cadre du HDP, qui n’est pas uniquement, comme un raccourci médiatique l’entend, un parti « pro-kurde », mais un parti politique pour toute la Turquie, qui est également une coalition de plusieurs organisations de gauche radicale (dont le SYKP, « Parti de la reconstruction socialiste », dont des membres en Suisse militent au PST-POP), un parti qui défend un pays démocratique, écologique, social, ainsi que la cause kurde. Le HDP avait dépassé la barre de 10% aux élections parlementaires. Le régime d’Erdogan a réagi par la répression. Des militants du HDP de tous niveaux sont emprisonnés, des militants de base, jusqu’aux deux coprésidents, en passant par les députés et tous les maires kurdes (remplacés par des administrateurs turcs nommés par le régime). Il faut savoir que l’État de droit n’existe plus en Turquie, pas plus que la séparation des pouvoirs – qui sont concentrés dans les faits entre les mains d’Erdogan – ; il n’y a plus de magistrats indépendants, et le régime d’Erdogan ignore ostensiblement les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, comme d’ailleurs le droit turc.

 

Mais les jours de ce régime pourraient être comptés, et Erdogan et l’AKP ont de bonnes chances de perdre les élections fixées en juin 2023. Le HDP a été à l’initiative d’une coalition électorale plus large, « Travail et liberté », qui pourrait atteindre autour de 20% des voix. Il soutient également un candidat commun de l’opposition à la présidentielle. Si Erdogan perd les élections, ses actes au pouvoir pourraient être annulés, et la Turquie pourrait enfin changer en mieux.

 

Le Kurdistan syrien, la révolution du Rojava

 




Le Kurdistan syrien, appelé Rojava par ses habitants kurdes, est une petite partie du Kurdistan, tant en territoire qu’en population. Mais, depuis quelques années, il est sous le feu des projecteurs.

 

Avant 2011, cette région végétait sous le joug d’un colonialisme particulièrement rétrograde. Les Kurdes n’avaient même pas de documents d’identité, pas d’existence légale. L’État syrien exploitait sans scrupules les ressources de la région, sans aucun égard pour sa population.

 

Mais tout a changé avec le déclenchement de la guerre civile. Les Kurdes ont eu l’opportunité, et même la nécessité, de prendre leur destin en main, et de s’organiser de façon autonome. Ils l’ont fait sous la direction du YPD (Parti de l’union démocratique), dont le projet politique est celui d’une démocratie directe, populaire, écologique et féministe. Chaque localité de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (nom officiel du Rojava, choisi pour inclure les populations non-kurdes de la région) s’autogouverne avec une participation directe du peuple. 

 

En 2014, les forces armées du Rojava ont affronté, et vaincu, l’État islamique, l’organisation la plus barbare et obscurantiste de toute l’histoire de l’humanité. Cette lutte a été largement dirigé par les femmes, qui disposent de leurs propres organisations, d’où le slogan « femme, vie, liberté ! », qui résonne aujourd’hui dans les manifestations en Iran. Il faut savoir que cette participation active des femmes n’est pas une pure nouveauté, mais trouve son origine dans des traditions kurdes anciennes. Même autrefois, les femmes pouvaient intervenir pour conclure la paix, et les hommes n'osaient pas s’y opposer le cas échéant. 


Lorsque l’État islamique était une menace universelle, les puissances impérialistes ont prétendu hypocritement être du côté du Rojava, et ont pu lui fournir un soutien limité, parce qu’elles avaient temporairement le même ennemi. Mais sitôt que l’EI avait perdu son « État », ces mêmes puissances se sont détournées du Rojava, pour ne pas froisser leur véritable allié dans la région : la Turquie, et son président Erdogan. Depuis, le Rojava est entouré d’ennemis : les groupes islamistes ; la Turquie, qui veut la mort de cette autonomie kurde ; le régime syrien de Bachar El-Assad, qui veut récupérer ce qu’il considère comme étant son territoire ; et le Kurdistan irakien de Barzani, objectivement du côté de la Turquie. La région est soumise à un blocus quasiment total. Le nord en est partiellement envahi par l’armée turque – qui viole ainsi impunément l’intégrité territoriale d’un autre pays, dans le silence assourdissant de la « communauté internationale » ! –, et des groupes islamistes, soutenus en sous-mains par la Turquie, l’attaquent. Le Rojava est obligé de conduire une guerre ininterrompue sur plusieurs fronts, et est en outre forcé de continuer à gérer des camps de prisonniers de l’EI, les États occidentaux ne voulant ni reprendre leurs ressortissants, ni même organiser un tribunal international pour les juger.

 

Malgré cela, la révolution est une réalité au Rojava, et une société nouvelle y est édifiée, dans des conditions d’une difficulté extrême. Quel visage prendra cette nouvelle société ? Pour le savoir, il faudrait déjà qu’elle puisse se développer par elle-même, sans devoir lutter en permanence pour sa survie. C’est un devoir internationaliste que de la soutenir.

 

Le Kurdistan iranien, un soulèvement contre le régime islamiste

 

En Iran, les Kurdes subirent longtemps une oppression brutale, privé de tout droit national, jusqu’à celui d’utiliser leur langue, sous la monarchie comme sous la République islamique.

 

En 1946, le Kurdistan iranien a eu une brève expérience d’autodétermination : la République de Mahabad. Elle a duré six mois. Lorsque l’armée soviétique s’est retirée d’Iran, qu’elle occupait, conjointement avec le Royaume-Uni, durant la IIème Guerre mondiale – l’indépendance relative de la République de Mahabad ayant été possible car elle se situait dans un terrain neutre entre les deux zones d’occupation – la monarchie iranienne reprit brutalement la main sur cette région. Le président de la République, Qazi Mohamed, fut pendu. L’État iranien a systématiquement pendu les leaders kurdes, allant jusqu’à les faire assassiner à l’étranger, comme il l’a fait pour A. Kasumen, président du Parti démocratique d’Iran, qui fut tué à Vienne dans les années 80.

 

Mais les choses pourraient enfin changer. Le peuple iranien se soulève aujourd’hui contre le régime. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est le meurtre par la police religieuse de la jeune Mahsa Amini, qui était kurde, pour la seule « faute » qu’elle ne portait pas correctement le voile d’après une loi rétrograde. Une mobilisation des femmes est devenue une révolte générale de tout le peuple contre un régime honni, une révolte massive surtout dans les régions kurdes. Mais pas seulement. L’Iran est en effet une puissance coloniale oppressive pas seulement pour les Kurdes. Il y a également le Baloutchistan, des régions arabes…Une révolte menée sous le slogan « femme, vie, liberté ! », qui résonne depuis longtemps au Rojava. Une révolte qui est aussi celle de la classe ouvrière. Les travailleurs des raffineries se sont mis en grève pour soutenir le mouvement.

 

Le régime réagit avec une brutalité extrême et sans nuance, réprimant à l’arme lourde, au prix de milliers de morts, et des dizaines de milliers d’arrestations. Mais ce pourrait bien être le début de sa fin. Tous les peuples et les partis communistes du monde se doivent de soutenir ce courageux soulèvement du peuple iranien contre une théocratie réactionnaire au suprême degré.

 

Quelles perspectives pour le mouvement kurde ?

 

Dans les quatre parties du Kurdistan séparées par des frontières nationales du fait des aléas de l’histoire, la tâche politique principale devant le mouvement kurde est en tout premier lieu de se libérer des chaînes du colonialisme, direct ou compradore. Mais ensuite ?

 

En Europe, l’émergence de l’État-nation est le fruit du développement du capitalisme, et un produit de la révolution bourgeoise qui a remplacé le féodalisme par une forme d’organisation sociale plus avancée. Mais ce processus n’a pas pu avoir lieu au Kurdistan, durement opprimé par des colonialismes particulièrement arriérés. Aussi, aucun capitalisme endogène n’a pu s’y développer, et les vestiges du féodalisme y sont encore massifs. Le Kurdistan présente en outre le même aspect que les pays d’Europe avant qu’ils ne soient devenus des nations. Les Kurdes sont de fait un assemblage de différents peuples – Kurmanc, Zaza-dismili, Goran, Soran, etc. qui parlent différentes langues. Cela ne fait pas une nation unifiée. Sans compter les nombreuses minorités non kurdes : Arméniens, Assyriens, Arabes, Turcomans,…Ces groupes peuvent de fait s’unir pour lutter contre le colonialisme. Sans interférences coloniales, ils auraient pu avoir évolué pour devenir une nation. Mais le colonialisme a empêché ce processus de s’accomplir.

 

Pourtant, la question nationale doit être résolue. Comment ? Une nation implique une unité de territoire, une histoire commune, une même langue, une certaine mentalité commune, et une vie économique commune (qui apparaît avec le capitalisme). En l’état, ces critères ne sont pas réunis au Kurdistan. Pour liquider les vestiges du féodalisme et du colonialisme, deux voies se présentent : une révolution démocratique bourgeoise, suivie d’une évolution vers un capitalisme 

endogène ; ou bien une révolution nationale démocratique, avec le socialisme pour perspective. Ce qui suppose un parti révolutionnaire, et un front commun du peuple, pouvant aller jusqu’à la bourgeoisie nationale.

 

Mais le fait est qu’une nation kurde n’existe pas à ce jour. Comment résoudre alors la question nationale au Kurdistan ? Une révolution nationale démocratique, bourgeoise ou populaire, pourrait conduire malgré tout à la création d’un État-nation kurde. Ou bien, pour rendre justice aux revendications nationales de ces différents groupes, pour que chacun de ces peuples et de de ces langues trouve sa place, la Kurdistan pourrait être organisé sous la forme d’une fédération, ou bien d’une confédération. Ou bien encore il pourrait être divisé en plusieurs États-nations distincts.

 

Quelle solution doit prévaloir ? C’est au peuple kurde de choisir celle qui lui conviendra le mieux. Il en a absolument le droit, car le droit des peuples à l’autodétermination est un principe fondamental et inaliénable, et il doit pouvoir le faire sans aucune ingérence des puissances impérialistes, comme des pays colonisateurs locaux. Ce droit d’autodétermination par le peuple kurde, son usage sans interférences extérieures, il faut le soutenir activement, sans réserve et avec détermination.

 

Burhan Aktas & Alexander Eniline 

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