17 novembre 2022

Il y a quarante ans disparaissait Léonide Brejnev, un grand bâtisseur du socialisme




Il y a quarante ans, Le 10 novembre 1982, Léonide Ilitch Brejnev, secrétaire général du Parti Communiste de l’Union Soviétique (PCUS) quittait ce monde. 

 

L’image reçue que beaucoup de gens ont de lui est celui d’un viel homme fatigué, lisant sa feuille avec quelques difficultés d’élocution (on oublie qu’il fut un orateur brillant dans sa jeunesse), une sorte d’incarnation d’une bureaucratie soviétique sclérosée, coupée de la réalité, à la pensée devenue routinière et dogmatiquement figée. L’époque où il fut à la tête du Parti et de l’État reçut le qualificatif de « stagnation ».

 

Certes, au soir de sa vie, Léonide Brejnev n’avait plus l’énergie de sa jeunesse. Mais pour le reste, jamais un cliché n’aura été plus faux, un mensonge plus révoltant.

 

Tout d’abord, c’est à tort que Brejnev passe pour l’incarnation d’une « nomenclatura ». De l’élite dirigeante, il n’était nullement issu. Il venait réellement de la classe ouvrière. S’il s’éleva progressivement aux plus hautes responsabilités, c’est grâce à ses seuls mérites. Il était bien plutôt un « self made man » soviétique ; mais un self made man socialiste, qui s’éleva lui-même en étant toujours et avant tout au service de la collectivité, plutôt qu’en recherchant son avantage personnel, au détriment d’autrui s’il le faut, comme le veut l’« american dream ».

 

Léonide Brejnev naquit le 6 décembre 1906 à Kamenskoïe, dans l’actuelle Ukraine (ville qui porta le nom de Dnieprodzerjinsk de 1936 à 2016, avant de retrouver une variante ukrainisée de son nom initial durant la « décommunisation »). Son père était ouvrier dans l’usine métallurgique de cette ville, qui était un véritable bagne capitaliste. La prime enfance de Brejnev fut rythmée par les grèves et la répression féroce du régime tsariste. Ces origines ouvrières firent de lui celui qu’il devint. Il s’en souviendra :

 

« La vie de l’usine, les pensées et les aspirations de l’ouvrier, son attitude envers la vie, tout cela a contribué de façon déterminante à former aussi ma vision du monde. Et ce qui me fut alors inculqué, je l’ai préservé toute ma vie ».

 

Son adolescence fut marquée par la Révolution, le début de l’édification d’une société nouvelle, mais aussi la Guerre civile, et les ravages terribles qu’elle laissa dans son sillage. La misère était devenue extrême quand les armes s’étaient tues, et le pays était en ruines. L’usine métallurgique de Kamenskoïe était provisoirement fermée. Tout était à rebâtir.

 

C’est cet impératif de reconstruction, et par-delà, d’édification d’un monde nouveau, qui allait déterminer la voie que suivra le futur secrétaire général du PCUS.

 

Après avoir fini l’école à l’âge de 15 ans, Léonide Brejnev travailla comme débardeur, puis reçut une formation d’arpenteur géomètre, profession qu’il exerça dans différentes régions d’URSS. Il adhéra au Komsomol, la Jeunesse communiste, en 1923, à l’âge de 17 ans. En 1931, il revint dans sa ville natale. Il s’engagea comme ouvrier dans l’usine métallurgique, qui avait redémarré en 1925. Le soir après le travail, il suit des cours à la faculté ouvrière, et devient ingénieur. En 1931 également, il adhère au Parti.

 

C’est en tant qu’ingénieur, et militant du Parti, à l’intérieur de l’usine métallurgique qu’il allait se faire remarquer par son énergie, son dynamisme, ses qualités professionnelles, sa rigueur intellectuelle et son souci des détails ; mais également par ses qualités humaines : modestie, sollicitude pour les autres, sociabilité. Il contribua à accroître de façon perceptible la productivité de l’usine, en ces années où on manquait de tout. C’est grâce aux qualités précitées que, après son service militaire, en 1935-1936, il monta rapidement les échelons.

 

Puis vint la Guerre. Occupant déjà un poste élevé au sein du Parti au niveau régional, Léonide Brejnev s’engagea avec une énergie admirable dans l’évacuation des personnes et des moyens de productions des territoires qui à vue d’œil tombaient sous le joug de la Wehrmacht. Ensuite, il se porta volontaire pour s’engager dans l’armée.

 

Durant la guerre, il servit en tant que commissaire politique, avec le grade de colonel. Cette période de sa vie a été beaucoup mise en évidence durant la période où il fut au pouvoir, mais ce n’était pas sans raisons. Elle fut réellement héroïque. Affecté au front de Transcaucasie, puis en Ukraine, Léonide Brejnev n’était pas un « planqué ». Il ne vécut pas la guerre depuis la sécurité d’un état-major, mais sur la ligne de front, ou à proximité immédiate. Son action la plus fameuse était en tant qu’agent de liaison entre le commandement militaire et l’avant-garde soviétique qui avait pris la fameuse « Petite terre », une île aux portes de l’Ukraine encore occupée, et qu’il fallait rejoindre en bateau, sous les tirs allemands. Plus d’une fois il vit la mort de près, souvent il faillit y passer, et participa plusieurs fois lui-même aux combats. A la fin de la guerre, il reçut le grade de major-général et participa au défilé de la Victoire à Moscou en récompense de ses faits d’arme.De sa participation à la guerre, la plus horrible que l’humanité eut connue, Léonide Brejnev en a retiré une aversion profonde pour ses horreurs, la conviction inébranlable que le combat le plus important est celui pour la paix. Comme il s’en souviendra :

 

 « Les dommages et les dévastations causées par cette guerre ne sont comparables à rien de connu. Les souffrances qu’elle a occasionnées sont encore vives au cœur des mères, des veuves et des orphelins. […] Il n’est point de perte plus terrible que la mort de ses proches, de ses camarades et de ses amis. Et il n’est point de spectacle plus accablant pour un être humain que de voir ruinés les fruits d’un labeur auquel il a consacré toute son énergie, son talent et son dévouement à la patrie. »

 

Et il n’oubliera pas cette leçon une fois qu’il sera à la tête du Parti et de l’État, s’engageant avec constance pour la coexistence pacifique entre États à systèmes sociaux différents. Comme il l’écrit dans la préface de l’édition française d’une courte biographie de lui, parue en 1980 :

 

« De tous les sujets de méditation que peut susciter ce récit, le thème de la paix me paraît le plus important. Pour le peuple soviétique il tient toujours la première place. Il n’y a sans doute pas une seule famille, chez nous, où l’on ne se souvienne de ceux qui ne sont pas revenus de la guerre. Or beaucoup de temps a passé depuis – trente-cinq ans. »

 

« Dans les circonstances actuelles, il ne suffit pas de désirer la paix, il ne suffit pas de manifester un esprit pacifique. Il faut défendre la paix, il faut lutter pour elle. Et je ne trahirai pas la vérité en disant que c’est là la pensée de tous les deux cent soixante millions de citoyens soviétique. ».

 

Mais, ça, ce sera plus tard. Dans l’immédiat, le pays horriblement ravagé par la guerre était à reconstruire. Léonide Brejnev s’y employa activement, tout d’abord dans son Ukraine natale. Brejnev fut en effet élu premier secrétaire de l’organisation régionale du Parti de Zaporojie (région où se trouve aujourd’hui la plus grande centrale nucléaire au monde, sur laquelle les combats font planer un grave danger). L’usine de Zaporojstal avait alors une importance cruciale pour toute l’économie soviétique, puisqu’elle était la seule à produire des tôles d’acier. Il fallait absolument la faire redémarrer, et fonctionner au maximum de ses capacités. Grâce à son énergie et à ses talents d’organisateurs, Léonide Brejnev obtint des résultats spectaculaires dans la reconstruction de l’Ukraine.

 

Une parenthèse. Une grande partie de la vie de Brejnev est liée à l’Ukraine. Il n’était pas lui-même ukrainien, sa famille venait de la région de Koursk en Russie. Mais il avait aimé ce pays, qui était le sien, et dont il avait gardé un accent caractéristique. Il écrira :

 

« J’ai longtemps travaillé en Ukraine, je me suis battu sur son sol pendant la guerre et, comme les autres Russes, je connais les merveilleuses qualités du peuple ukrainien, je me suis mis à l'aimer d’un amour filial très sincère ».

 

En transformant le souvenir sacré de la Grande Guerre patriotique en orgueil militariste, et en réduisant de nouveau l’Ukraine en champ de ruines, le régime de Vladimir Poutine détruit tout ce que Léonide Brejnev s’était efforcé de bâtir, et fait de la Fédération de Russie une véritable anti-URSS.

 

Du fait des très bons résultats obtenus à chaque fois, Léonide Brejnev continue de monter les échelons : premier secrétaire du Parti de la République socialiste soviétique de Moldavie, puis de celle du Kazakhstan, membre du Comité central du PCUS en 1952, du Bureau politique en 1956. En 1964, lorsque Nikita Khrouchtchev est démis de ses fonctions, il accède au poste de secrétaire général du PCUS. Il y aurait beaucoup à dire sur les circonstances de cette accession au pouvoir, et plus généralement sur les rapports entre Brejnev et Khrouchtchev, mais le sujet est complexe, et nous en réservons le traitement à un article consacré à Nikita Khrouchtchev.

 

A la tête du PCUS, Léonide Brejnev s’emploie à la lutte pour la paix, bien sûr, mais surtout à l’édification du socialisme, et, en premier lieu, à l’amélioration des conditions de vie du peuple soviétique. Programme qu’il résume ainsi :

 

« Créer pour les travailleurs les conditions les plus propices à un travail, à des études, à des loisirs, au développement et à l’application la plus judicieuse de ses capacités, voilà l’objectif essentiel, le sens profond de la politique que met en œuvre avec conséquence notre parti ».

 

Les résultats étaient sans doute en deçà de ce que la population aurait voulu, mais somme toute spectaculaires, si on prend en compte le point de départ très bas aux lendemains de la Révolution, et les ravages de plusieurs guerres. La période brejnévienne est à juste titre restée dans les mémoires comme la plus heureuse et la plus prospère que les 15 républiques qui formaient l’URSS aient jamais vécu.

 

Cet éloge de Léonide Brejnev était indispensable, ne serait-ce que pour rétablir la vérité sur ce grand communiste. Mais nous ne voudrions pas non plus en faire une hagiographie. Naturellement, Brejnev n’avait pas que des mérites, et tout n’était pas rose à son époque, ni rouge d’ailleurs. Ayant connu l’état de dénuement extrême du pays, et les grandes difficultés de la reconstruction, Léonide Brejnev avait certainement tendance à surestimer le niveau d’avancement du socialisme soviétique, et à minimiser les problèmes et les contradictions qui s’accumulaient et s’aggravaient. Il n’en mérite pas moins que tous les honneurs dus soient rendus à sa mémoire.

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