Nous
voulons ici vous parler d’une époque qui ne fait pas vraiment partie de la
mythologie officielle helvétique. C’était du temps de la Deuxième Guerre
mondiale, lorsque le Conseil fédéral disposait des pleins pouvoirs, que la
classe dirigeante de notre pays était de
facto alignée sur le Reich. De sombres années où le Parti communiste
suisse, puis la Fédération socialiste suisse, scission de gauche du Parti
socialiste regroupée autour de Léon Nicole, avaient été tour à tour interdits,
où les journaux communistes et réellement socialistes avaient été fermés, et où
communistes et socialistes de gauche travaillaient désormais ensemble, mais
dans la clandestinité, imprimant leurs publications sur des presses
clandestines et les distribuant sous le manteau, ce qui valut des séjours en
prison pour bien des camarades,
Des
années cruciales pourtant, puisque c’est alors que furent jetées les bases de
notre Parti, le Parti Suisse du Travail, qui fut un grand et glorieux parti
alors, et qui est appelé à le redevenir. Des années dont il n’est pas toujours
aisé d’écrire l’histoire pourtant, puisqu’il était alors impossible de tenir
des archives en règle (on faisait tout au contraire pour ne pas en avoir). De
ce fait, nombre de documents importants ne subsistent plus.
Or
il se fait qu’a récemment été retrouvée une fort intéressante brochure,
probablement l’ultime exemplaire qui existe encore ; une brochure de 1943
intitulée « La classe ouvrière et les événements ». Texte non signé,
où on peut lire « Editions de l’Etincelle », journal clandestin des
précurseurs de notre Parti en ces temps troublés.
Par
« événements », il faut entendre bien entendu ceux de la Guerre qui
faisait alors rage. En informer les travailleurs suisses était d’autant plus
vital que les journaux officiels n’en donnaient qu’une vision convenue, ajustée à celle de la presse
allemande. Les journaux communistes et socialistes, qui auraient dit la vérité
avaient été interdits. Les auteurs de la brochure ne disposaient eux-mêmes,
outre les journaux suisses et allemands, que de quelques bribes d’informations
qui circulaient. Malgré cela, la brochure présente, en 16 pages, un analyse
d’une grande exactitude de la situation : ascension du fascisme avec la
bénédiction de la bourgeoisie, résistance héroïque du peuple soviétique à l’envahisseur
allemand, victoire prochaine inéluctable de l’Armée rouge, choix de
l’Angleterre bourgeoise de s’allier à l’URSS pour conserver son indépendance
nationale.
Outre
ces éléments bien connus, la brochure rappelle le rôle peu reluisant du PSS officiel : « La
politique interpartis, voulue par Robert Grimm, a fait du socialisme suisse
officiel une sorte de rallonge de la bourgeoisie capitaliste au pouvoir.
Tranquillisé de ce côté là, le Conseil fédéral a pu, sur la proposition de M.
Von Steiger, ami personnel de Robert Grimm, procéder en toute tranquillité, aux
interdictions qui ont frappé la classe ouvrière des cantons de Vaud et
Genève ».
La
brochure rappelle encore un fait moins connu aujourd’hui, mais qu’il est
d’autant plus utile de rappeler pour cette raison, c’est à dire l’accord
germano-suisse, aux conditions léonines, qui plaçait virtuellement l’économie
suisse sous le contrôle de l’Allemagne : contrôle total de l’Allemagne sur
toutes les exportations helvétiques, engagement de la Suisse à fournir à
l’Allemagne des contingents de produits laitiers et de bétail (les obligations
allemandes elles étant tout à fait conditionnelles), prêts massifs de matériel
roulant et de francs suisses au Reich.
La
conclusion de la brochure, la perspective politique qu’elle propose aux
travailleurs, n’a elle absolument pas vieilli : « Nous arrivons, chez
nous, comme d’ailleurs dans toute l’Europe occidentale et dans le monde entier,
au moment où le mouvement prolétarien (par quoi il faut comprendre l’ensemble
des hommes et femmes ne pouvant compter que sur leur travail pour vivre)
représente l’immense majorité du peuple. En conséquence, la classe dirigeante
et capitaliste suisse, avec son cortège de parasites (chefs de partis,
politiciens, journalistes, « intellectuels » traîtres à la cause du
peuple, magistrats, hauts fonctionnaires de police, etc. – doit nécessairement
céder la place aux représentants de l’immense majorité populaire actuellement
en formation. »
« Le
devoir des travailleurs suisses politiquement éduqués est de donner une ferme
direction doctrinale à cette majorité populaire. C’est ainsi qu’il sera
possible d’assurer au pays suisse son indépendance nationale menacée par le
fascisme, avec lequel la bourgeoisie réactionnaire a lié partie, et sa libération
sociale. Ainsi s’instaurera un système gouvernemental duquel la lutte entre la
classe dirigeante et la classe opprimée aura été bannie par la suppression du
régime des classes, but du socialisme digne de ce nom ».
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