Vous l’avez sans doute reçu dans votre boîte
aux lettres, la dite « Edition spéciale » de l’Union Démocratique du
Centre (c’est à peine une boutade de dire que le seul mot non-mensonger dans
cette appellation est « du ») de janvier 2016. Ce n’est que le
dernier des journaux tout-ménage qui succède à plusieurs autres. Une telle
opération coûte une fortune. Visiblement l’UDC a les moyens, ce qui n’est pas
surprenant : nombre de dirigeants de ce parti soi-disant « proche du
peuple » sont directement issus de la grande bourgeoisie, y figurent
certaines des plus grandes fortunes du pays.
Ce numéro-ci est entièrement consacré à
l’initiative dite de « mise en œuvre ». En effet, il y a cinq ans,
l’UDC avait lancé une initiative pour l’expulsion des « étrangers
criminels », à laquelle notre Parti s’est fermement opposé. Malheureusement,
cette initiative démagogique fut acceptée par le corps électoral. Deux ans à
peine après cela, n’attendant même pas l’expiration du délai de cinq ans que
l’initiative d’origine elle-même donnait à l’Assemblée fédérale pour voter une
loi d’application, l’UDC lançait une nouvelle initiative dite de « mise en
œuvre » de la précédente, soi-disant parce que la « classe
politique » refusait de se soumettre à la volonté du « peuple
souverain », dont le parti blochérien serait l’incarnation politique et le
plus fidèle interprète.
Ce journal véhicule un discours absolument
délirant, brossant le tableau d’une Suisse où les gens seraient obligés
d’éviter des quartiers entiers (sic !) par crainte des criminels étrangers
qui prolifèrent, et véhiculant une véritable « haine zoologique » des
étrangers (ce qui est une des marques de fabrique du fascisme d’après Georges
Dimitrov), massivement des criminels, parce qu’étrangers, qui pourrissent la
vie des bons Suisses. Une « élite politique » indistincte,
mondialiste, agenouillée devant l’ « étranger », qu’il soit
eurocrate ou immigré, traîtresse au peuple souverain, lui-aussi monolithique et
indistinct, et qui n’aurait que l’UDC comme représentant authentique. L’UDC
redéfinit donc les clivages : d’un côté, Les étrangers (en bloc…mais les
étrangers riches, fraudeurs au fisc de leur pays on ne les prend guère en
compte) et Les élites politiques (elles aussi indistinctes) face au Peuple
souverain (homogène), dont l’UDC incarne la volonté. Si on ne peut tracer une
identité stricte entre ce parti et quelques autres de triste mémoire, les
analogies sont tout de même particulièrement nombreuses et frappantes pour ne
pas les prendre en compte…
Mis à part cela, ce fameux journal est rempli
de simplifications et de semi-vérités, quand ce n’est pas de contre-vérités. Le
nom de l’initiative lui-même est mensonger, il ne s’agit nullement d’une
« mise en œuvre » du texte voté il y a cinq ans, mais d’une
initiative nouvelle, et bien pire. En effet, cette initiative de « mise en
œuvre » consiste à inscrire dans la constitution une liste de délits qui
conduiraient automatiquement à une expulsion. De plus, une deuxième liste de
délit serait inscrite dans la Constitution. Ces délits mèneraient
automatiquement à une expulsion s’il y a « récidive » dans les 10
ans. Celle liste contient entre autre les lésions corporelles simples, la
provocation publique au crime ou à la violence, violence ou menace contre les
autorités et les fonctionnaires, dénonciation calomnieuse, faux témoignage, faux
rapport ou encore d’autres infractions à la loi fédérale sur les étrangers. Il
est intéressant – mais pas surprenant – de constater qu’aucun délit en matière
fiscale (évasion fiscale) ou d’argent sale n’est listé. Par contre, le moindre
« abus » en matière d’aide sociale conduit à l’expulsion
automatique ! Les crimes pédophiles, en revanche, ne sont passibles
d’expulsion automatiques qu’en cas de récidive. Pour les blochériens,
grappiller quelques malheureux francs à l’aide sociale est plus grave que la pédophilie !
Si l’initiative était acceptée, voilà ce qui
arriverait concrètement : si quelqu’un, né en Suisse mais sans passeport
suisse est amendé pour conduite en état d’ivresse et qu’il est jugé pour menace
contre un fonctionnaire dans les dix ans suivants, il sera automatiquement
renvoyé dans le pays d’origine de ses parents ou de ses grands-parents.
Mais surtout, le caractère automatique de
l’expulsion quoi qu’il en soit par ailleurs, la négation du principe de
proportionnalité, foulent aux pieds tous les principes de l’Etat de droit, qui
accordent quelques garanties aux individus, surtout à ceux qui ne font pas
partie des classes dirigeantes, au profit d’une « justice »
expéditive et arbitraire dont on ne sait que trop bien ce qu’elle a donné sous
le joug des partis auxquels l’UDC fait fatalement penser. Les citoyens suisses
mus par des sentiments xénophobes sans faire partie des classes possédantes
pour autant seraient bien peu avisés de croire qu’eux ne seront en rien touchés
par l’infamie qu’ils cautionnent de leurs votes. Si le combat de
l’extrême-droite contre l’Etat de droit est couronné de succès, les quelques
garanties juridiques qu’il apporte ne protégeront plus personne, et pour ceux
qui s’imaginent que le parti du grand capital qu’est l’UDC est du côté du
peuple il sera trop tard pour regretter.
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