Depuis que le nombre d’initiatives populaires a
augmenté, et que leur acceptation est devenue plus fréquente, des représentants
des cercles patronaux et libéraux, ainsi que des partis gouvernementaux
envisagent de restreindre le droit d’initiative. Des voix appellent les
chambres fédérales à user plus systématiquement de la possibilité d’invalider
des initiatives pour non-respect de l’unité de la matière, unité de la forme ou
non-conformité des engagements internationaux de la Suisse, voire d’augmenter
le nombre de signatures requises. Beaucoup jureraient la main sur le cœur
qu’ils en ont après les initiatives xénophobes et contraires aux droits humains
de l’UDC, ou des initiatives émotionnelles et difficilement applicables. Mais
il ne faut pas s’y laisser prendre. La classe dirigeante de ce pays s’accommode
sans trop de problèmes de ce genre d’initiatives, quand elle n’en reprend pas
l’esprit – les durcissements successifs de la Loi sur les étrangers et de la
Loi sur l’asile furent votés avec les voix libérales-radicales et
démocrates-chrétiennes.
Non, ce qui pose réellement problème aux
représentants politiques du patronat, c’est l’usage que font la gauche et les
syndicats du droit d’initiative pour mettre en avant un agenda de progrès
social et de remise en cause de la toute-puissance du capital. Du reste, l’une
des deux seules initiatives invalidées dans l’histoire de ce pays fut
l’initiative du Parti Suisse du Travail « Contre la vie chère et l’inflation »
en 1975, officiellement pour des raisons d’unité de matière, en réalité parce
qu’elle menaçait les intérêts que la majorité de droite de l’Assemblée fédérale
défend. C’est aussi ce que fait depuis longtemps le Grand Conseil genevois,
essayant systématiquement d’invalider les initiatives progressistes pour des
raisons politiques. Aucune initiative xénophobe, en revanche, ne fut jamais
invalidée.
Le cercle de réflexion néolibéral Avenir Suisse
a récemment mené une réflexion sur les restrictions à apporter au droit
d’initiative, qui apparemment menacerait la stabilité politique et économique
de la Suisse. Il en a clairement contre les initiatives qui demandent un peu
plus de justice sociale dans ce pays. « Y compris quand elles ne passent
pas, comme l’initiative 1 : 12 ou celle sur le salaire minimum, - déclare
un économiste ayant souhaité rester anonyme. Le simple fait qu’elles soient
lancées crée de l’incertitude ». (Le Temps du 31.05.14). L’ex directeur
d’Avenir Suisse, Xavier Comtesse, est très explicite sur les intentions
anti-démocratiques de son organisation : « L’idée, c’est qu’une
autorité doit pouvoir accepter ou invalider les initiatives qui sont lancées.
Au pays de la démocratie directe, le vote de mécontentement ne devrait pas exister ! »
Sitôt dit, sitôt mis en pratique. Le Conseil
des Etats envisage d’invalider pour des prétextes juridiques tirés par les
cheveux l’initiative du Parti évangélique, soutenue par le PS et par le Parti
du Travail, pour l’imposition des successions et pour que les deux tiers des
revenus de ce nouvel impôt aillent au financement de l’AVS. La vérité est
simplement que les représentants politiques des possédants ne peuvent accepter
que les héritages des multimillionnaires soient taxés.
Ces attaques contre le droit d’initiative sont
inadmissibles et doivent être contrées. Le droit d’initiative représente en
effet un acquis démocratique précieux et un indispensable contre-pouvoir
populaire dans un pays où pour le reste tous les pouvoirs réels sont concentrés
aux mains des représentants du grand capital. Les initiatives xénophobes et
réactionnaires que le peuple suisse a récemment acceptées ne sont pas un
argument. S’il n’y avait que le parlement bourgeois à majorité de droite comme
seul rempart face à l’extrême-droite et à ses idées nauséabondes, il s’agirait
d’un rempart bien mince. L’agenda xénophobe et rétrograde de l’UDC et de ses
satellites doit être contré sur le terrain de la lutte politique et de la lutte
de classe, pas par une remise en cause des droits démocratiques précieux et
indispensables.
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