« Plus un empire est proche de sa chute, plus ses lois sont absurdes », Marcus Tullius Cicéron.
Non pas que nous souhaitions rendre particulièrement hommage à cet homme qui politiquement fut le porte-parole de l’oligarchie réactionnaire de la République romaine finissante, même s’il fut aussi un grand philosophe, et que nous lui soyons redevables de la transmission d’une partie de la culture antique, qui sans lui aurait été perdue.
Mais le fait est que cette citation est utilisée comme slogan par le Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF), et qu’elle décrit plutôt bien la réalité russe d’aujourd’hui.
A première vue, il semble difficile de soutenir que le régime de Vladimir Poutine – qui peut être défini comme un capitalisme monopoliste d’État semi-mafieux, dominé par une oligarchie tirant ses revenus de l’exportation des hydrocarbures, avec une supers-tructure quasi-dictatoriale, malgré l’existence d’une démocratie formelle, de moins en moins respectée – soit proche de la chute.
Et pourtant, il flotte en Russie un parfum, peut-être pas de fin de règne, mais du moins de déclin du régime en place ; et les signes de nervosité de la part du pouvoir sont si nombreux et croissants, qu’on est amené à penser qu’il n’y a pas de fumée sans feu.
C’est que l’appui populaire relatif – pas une adhésion enthou-siaste, mais au moins une obéissance passive – au régime poutinien s’effrite. Les vieilles recettes de la propagande, à base d’une télé-poubelle manipulatrice, d’un patriotisme surjoué et factice, et d’un conservatisme en toc, tendent à perdre leur efficacité. L’absence de succès réels remportés, que ce soit en politique intérieure comme extérieur, devient par trop difficile à cacher. Les conditions de vie de la population se dégradent, les revenus réels baissent, les contre-réformes néolibérales provoquent un mécontentement justifié. La corruption de la clique au pouvoir est connue de tous, et devient réellement odieuse. La gestion de la crise sanitaire de la part des autorités a été déplorable ; celle des catastrophiques incendies de forêt cet été calamiteuse. Une colère sourde grandit dans le pays, et le pouvoir craint de ne pas pouvoir assurer encore longtemps la soumission du peuple. N’étant pas en mesure de proposer politiquement quoi que ce soit de valable, il recourt de plus en plus à la fraude, et à la répression, au mépris de toutes les règles de l’État de droit, qui ne sont plus qu’une vaine façade, dont à peine on se souvient.
Le 26 septembre dernier, la Russie a voté pour réélire la Douma, le parlement national. Des élections locales ont eu lieu le même jour. Depuis le début de l’ère Poutine, toutes les élections sont falsifiées. Elles n’étaient guère plus honnêtes sous Eltsine. Mais, cette fois-ci, il y a un saut de niveau, un degré de plus dans la fraude éhontée.
C’est que le soutient populaire à Russie Unie, le parti présidentiel, est tombé tellement bas – moins de 30% – que pour garantir une majorité des deux tiers des sièges à la Douma, le régime a dû organiser rien de moins que les élections les plus sales de l’histoire de Russie. Ce en amont, pendant, et en aval.
En amont : des méthodes arbitraires qui confinent à l’aberration. La presse bourgeoise en Occident a suffisamment relaté la répression, effectivement scandaleuse et illégale, qui s’est abattue sur les partisans d’Alexeï Navalny, qui n’ont pas pu participer aux élections. Nous rappellerons cependant que l’opposition libérale n’a en réalité qu’une audience très limitée (principalement à Moscou et à Saint-Pétersbourg), et qu’elle n’est pas la seule à avoir été l’objet des méthodes arbitraires du pouvoir. Le principal parti d’opposition, et deuxième parti du pays, le KPRF, s’est également vu refuser l’inscription de ses candidats les plus charismatiques, et probablement les plus craints par le pouvoir, sous des prétextes manifestement fallacieux. Parmi ces candidats refu-sés figure Pavel Groudinin, directeur du Sovkhoze du nom de Lénine, et qui est victime d’un véritable acharnement judiciaire depuis qu’il s’est présenté à la dernière présidentielle contre Poutine, et y a fait une bonne campagne. On lui a refusé d’être candidat aux élections pour soi-disant possession d’actions d’une entreprise étrangère…qui n’existe plus. Summum de l’absurde, c’était déjà une pratique usuelle du pouvoir que de créer des partis fictifs pour voler des voix au KPRF. Une « particularité » de la loi électorale russe étant en effet que les suffrages des partis qui n’atteignent pas le quorum de 5% sont attribués au parti arrivé en tête, soit Russie Unie grâce à la fraude. Mais cette fois un pas supplémentaire a été franchi dans l’aberration : face à des candidats que le pouvoir craignait se présentaient d’autres, qui changeaient légalement de nom à la dernière minute, pour prendre celui de leur adversaire. Des candidats bidons qui ne faisaient pas campagne, et étaient là juste pour tromper les électeurs.
Pendant, c’était un trucage massif et éhonté pour le vote dans l’urne, et un trucage à 100% du vote électronique (rappelons à cette occasion que le Parti du Travail est totalement opposé à l’introduction du suffrage électronique, tant il rend possible la fraude, risque qui existe aussi en Suisse). Un exemple : à Moscou, le KPRF arrivait largement en tête au décompte du vote dans l’urne. Mais les suffrages du vote électronique sont tous allés à Russie Unie (ce qui est impossible mathématiquement).
Grâce à ces falsifications, Russie Unie a pu conserver ses deux tiers des sièges à la Douma. Mal-gré la fraude massive, le KPRF a fait un bon score, à 19% des voix, en nette progression par rapport aux élections passées. Un score déjà très appréciable, ce d’autant plus quand on sait qu’il est scandaleusement en deçà de la réalité (peut-être même le KPRF a-t-il gagné en réalité les élections). Le KPRF a également remporté un nombre significatif d’élections locales.
Le KPRF, toutefois, a refusé de reconnaître cette victoire volée par le pouvoir, et a entrepris de contester le résultat de l’élection, au travers de recours devant les tribunaux (sans qu’il faille at-tendre grand-chose de la justice poutinienne), et d’actions de protestions dans la rue. Le pouvoir prit peur, et entra alors dans la troisième phase du vol des élections : celle en aval, à travers l’intimidation et la répression.
La police fit obstruction systématiquement aux diverses manifestations, rassemblements et rencontre des électeurs avec des députés, pourtant des modes de protestation parfaitement légaux. Les demandes d’autorisation pour les manifestations furent systématiquement refusées, sous des prétextes manifestement abusifs. Le siège de la section moscovite du KPRF fut assiégé pendant trois jours par la police. On ne compte plus les cadres et élus du KPRF convoqués par la justice, ou arbitrairement arrêtés par la police, sous d’arbitraires accusations d’organisation d’actions de protestations illégales (ce qui est faux). Nombre d’entre eux ont été condamnés à des amendes plutôt salées ou à des peines de 10 à 15 jours de détention. Des peines qui sont certes plutôt « légères » par rapport au sort réservé à d’autres victimes de l’arbitraire poutinien. Mais il est évident que la répression contre les communistes durcit. Ce d’autant que la police et la « justice » agissent souvent de façon parfaitement illégale. L’immunité parlementaire des députés n’est ainsi pas respectée. Même le bureau d’Ivan Melnik, vice-président de la Douma, fut bloqué par la police, ce qui est parfaitement illégal. A l’évidence, certains des abus policiers avaient pour objectif de rendre impossible le travail des juristes chargés de préparer les recours contre le résultat des élections. Certes, on peut toujours faire classer ces recours par des juges aux ordres, mais ne même pas avoir à les examiner, c’est quand même mieux…
Cette sombre histoire de fraude électorale eut au moins le mérite de contraindre même la presse bourgeoise occidentale à accorder un peu d’attention au KPRF, un parti qu’elle se contentait de ne pas remarquer.
Or le KPRF, fondé en 1993 par d’anciens militants du PCUS qui refusaient de se résigner à la liquidation du socialisme en Russie, au coup d’État criminel de Boris Eltsine, qui a fait massacrer le Soviet suprême à coup de chars d’assaut pour imposer son pouvoir personnel et sa thérapie de choc néolibérale, qui refusaient de se résigner au pillage de leur pays par des gangsters et d’anciens cadres corrompus reconvertis en oligarques.
Aujourd’hui, le KPRF est la principale force d’opposition en Russie, un parti représentatif des classes populaires, comptant quelques 162'000 membres, puissamment organisé, et qui lutte contre les ravages causés par la restauration du capitalisme en Russie, contre le pillage du pays par une clique semi-mafieuse, contre les « réformes » néolibérales qui détruisent les derniers acquis sociaux hérités du socialisme, pour la justice sociale, et in fine pour mettre fin au cours funeste suivi depuis Gorbatchev et Eltsine, pour le retour de la Russie sur la voie du socialisme, qu’elle n’aurait jamais dû abandonner.
Récemment, le KPRF a pu compter sur un renforcement de son organisation, et sur un rajeunissement de ses rangs, de la base jusqu’aux instances dirigeantes et aux groupes parlementaires. Une jeune génération a rejoint le parti, plus combative, plus radicale, plus déterminée que celle des membres fondateurs. Un vent nouveau dont le pouvoir poutinien corrompu et réactionnaire a peur, et qu’il essaye de réprimer, mais qui représente l’avenir. Parce qu’il n’est que grand temps que tout l’héritage pourri des années nonante, du néolibéralisme à l’ouest à la restauration du capitalisme à l’est, prenne enfin sa juste place, dans les poubelles de l’histoire.
Ici en Suisse nous avons le devoir de condamner les fraudes et les répressions arbitraires du régime de Poutine, et de soutenir la lutte des communistes de Russie.
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