Un
couplet hélas trop souvent oublié de l’Internationale – mais qu’il faudrait
chanter plus souvent – dit :
« L'état
comprime la loi triche
L'impôt
saigne le malheureux
Nul
devoir ne s'impose aux riches
Le
droit du pauvre est un mot creux
C'est
t'assez languir en tutelle
L'égalité veut d'autres lois
L'égalité veut d'autres lois
Pas
de droits sans devoirs dit-elle
Egaux
pas de devoirs
sans droit »
Ce couplet, il faudrait en effet
le chanter plus souvent, tant il répond de façon criante à des enjeux brûlants
d’actualité. Il est notamment impossible de ne pas l’avoir en tête quand on
pense à la troisième réforme de l’imposition des entreprises, dite RIE III, sur
laquelle nous voterons ce 12 février. Pour la droite et le patronat, il s’agit
de la « mère de toutes les batailles ». Ils ont mis les grands moyens
pour ce qu’il convient d’appeler un matraquage en bonne et due forme. De
dépliants tout-ménage à répétition, aux affiches omniprésentes, en passant par
les annonces presse et vidéos youtube, pour un message simple
(simpliste) : le peuple DOIT voter la RIE III, « there is no
alternative », la RIE III ou le chaos, l’apocalypse, les cartes de
rationnement, la famine, la grande peste…M. le conseiller d’Etat Dal Busco
s’est même senti autorisé à faire la promotion de la RIE III dans un courrier
officiel envoyé à tous les contribuables. Pourtant, nous sommes en démocratie,
du moins à ce qu’il paraît, et normalement le peuple souverain a non seulement
le droit, mais aussi le devoir de juger par lui-même, en connaissance de cause,
des décisions qui sont de sa compétence, et devrait, logiquement, fort peu
goûter le chantage ou qu’on lui ordonne quoi voter. Or, il y a de quoi y
regarder de plus près…
4,6 milliards de pertes fiscales annoncées, au
moins !
Pourquoi la RIE III ?
La raison officielle est que jusqu’à ce jour la Suisse a pratiqué un double
système d’imposition pour les entreprises. Les entreprises Suisses payaient
comme il se doit le taux normal, par exemple 22,5% d’impôt sur le bénéfice à
Genève. Mais pour attirer des multinationales étrangères on leur offrait sur
mesure un taux d’imposition préférentielle, qui pouvait être équivalent à la
moitié, voire nettement moins, de ce qu’elles auraient payé normalement. Un
système de passe-droit qui évoque le bon vieux temps des privilèges de la
noblesse d’Ancien Régime…Certains cantons – Genève, Vaud, Bâle, Zoug – ont
massivement usé et abusé de ce système. D’autres n’y ont presque pas eu
recours. Mais toutes les bonnes – et les mauvaises – choses ont une fin. L’OCDE
n’est plus disposée à tolérer ce qui constitue un cas patent de concurrence
déloyale et exige que toutes les entreprises en Suisse soient taxées au même
taux, ce qui serait la moindre des choses. Evidemment, il serait juste et
légitime que ce système des privilèges scandaleux tombe. La seule question
est : de quelle façon ? Le plus juste et le plus logique aurait été
de simplement abolir tous les taux préférentiels, pour soumettre toutes les
entreprises au taux normal. Ou du moins mettre un taux à mi chemin entre celui
que payent les entreprises suisses, et celui que payent les sociétés « à
statut », pour qu’au moins il n’y ait pas de pertes fiscales.
Evidemment, ce n’est pas la
solution qu’a choisi la majorité de droite des chambres fédérales. La logique
de la droite était : s’il faut mettre toutes les entreprises au même
régime, qu’ainsi soit-il ; mais si on augmentait les taux d’imposition des
multinationales, elles pourraient partir sous d’autres cieux, et on perdrait
ainsi la totalité des impôts qu’elles versent ; alors, puisqu’il faut
mettre tout le monde au même taux, mais de façon à ce que les sociétés à statut
ne payent pas plus, c’est simple, il suffit de mettre pour tout le monde un
taux bas, et d’abaisser ainsi l’impositions des entreprises suisses – qui n’en
demandaient pas tant – au même niveau que les sociétés à statut. Outre le taux
d’imposition en tant que tel, la RIE III prévoit moult possibilités de déductions
diverses et variées, grâce auxquelles certaines multinationales payeraient
encore moins qu’avant.
Sauf que tout ceci à un coût
très lourd : 4,6 milliards de pertes fiscales par an à prévoir ! Dont
1,6 milliards pour la Confédération, et près de 3 milliards pour les cantons et
les communes. Il s’agit de montants énormes. Un manque à gagner de recettes
fiscales qu’il faudra bien compenser par de nouvelles coupes importantes dans
les prestations, dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les prestations sociales,
dans les transports publics. Des coupes dont souffriront avant tout les classes
populaires. Ainsi les simples travailleurs auront des transports publics plus
chers et moins fréquents, des écoles délabrées, des hôpitaux encore plus
saturés, des droits en moins, bref devront se serrer encore plus la ceinture,
tout ça pour que quelques gros actionnaires puissent s’acheter des yachts et
des jets privés supplémentaires.
Et il s’agit là d’une
estimation basse. Les pertes réelles seront sans doute de beaucoup fois plus
élevées. On n’a pas oublié en effet le mensonge flagrant auquel la droite avait
eu recours pour faire passer la RIE II.
Rappel : le mensonge de la RIE II
Le 24 février 2008, le
peuple suisse avait accepté à 20'000 voix près seulement la réforme de
l’imposition des entreprises II. La droite et le Conseil fédéral ont vendu la
réforme au peuple en prétendant qu’elle serait « bénéfique pour
l’économie » et ne coûterait pas si cher : près de 80 millions par an
d’après feu l’ancien conseiller fédéral radical Hans-Rudolph Merz. Pourtant,
après que la RIE II fut passée, le Conseil fédéral fut forcé d’admettre que les
pertes fiscales sont en réalité de près d’un milliard par an. Et c’est sans doute
encore une estimation basse. D’après une étude de l’USS, les pertes se
monteraient à plus de 2 milliards par an, sans compter près de 2 milliards de
manque à gagner cumulé pour l’AVS. Saisi par un recours du Parti socialiste, le
Tribunal fédéral lui-même admit que le Conseil fédéral avait sciemment menti et
que ce mensonge avait certainement influencé le résultat. Le Tribunal fédéral
renonça néanmoins à faire annuler la votation. Ce sont là les beautés de la
démocratie bourgeoise…
La RIE II fut-elle au moins
bénéfique pour l’économie. L’Administration fédérale des contributions fut
forcée d’admettre que les avantages de la RIE II pour la place économique
suisse « n’ont pas pu être chiffrés ». En clair, elle n’a aucune
preuve que la RIE II a eu le moindre effet bénéfique. Elle s’obstine néanmoins
à affirmer que : "L'économie bénéficie de l'accumulation du capital
par les entreprises, ce qui mène à davantage d'investissement". Et qu’en
sait-elle, puisqu’elle n’a pas pu chiffrer l’influence de la RIE II sur l’accumulation
du capital des entreprises ? Il ne s’agit nullement d’une preuve, mais
d’une simple récitation obtuse et idéologique au pire sens du terme du dogme
néolibéral. L’USS par contre estime que la RIE II n’a pas vraiment profité aux
entreprises, mais seulement à leurs actionnaires. Mais si les prétendus effets
bénéfiques de la RIE II sur l’économie sont au mieux fantomatiques, les ravages
qu’elle a occasionnés dans les finances publiques sont douloureusement
tangibles. De quoi y réfléchir sérieusement avant même d’envisager de voter
pour la RIE III.
Non pas une nécessité, mais un pur cadeau aux
privilégiés
Mais sans la RIE III ce
serait le chaos, nous dit-on. Allons, on devrait depuis longtemps être immunisé
contre cet argument depuis que la droite en use et abuse pour tout et n’importe
quoi. Rappelons tout de même que pour ce qui est de la charge fiscale globale
sur les entreprises, la Suisse resterait très compétitive, même sans les
privilèges fiscaux dont jouissent aujourd’hui les sociétés à statut, même sans
la RIE III. Du reste la charge fiscale, n’est qu’un critère parmi d’autres pour
l’implantation des entreprises. D’après le Département fédéral des finances
lui-même : « L’attractivité d’un lieu d’implantation dépend de
plusieurs facteurs. Les conditions cadres comme la stabilité politique, de
bonnes infrastructures ou un marché du travail fonctionnel avec des
travailleurs et travailleuses qualifié-e-s sont extrêmement importantes ».
De tous ces critères les privilèges fiscaux n’arriveraient qu’en huitième
position. Donc si la RIE III devait être balayée par le peuple, ce ne serait
pas encore l’apocalypse. De fait, toutes les prévisions catastrophistes de nos
adversaires sont basées sur l’hypothèse qu’en cas de refus de la RIE III, 100%
des sociétés à statut s’en iraient. Il s’agit d’une hypothèse purement
gratuite.
En voilà de quoi répondre
aux « arguments » des partisans de la RIE III. Mais, pour prendre un
peu de hauteur, le projet économique – celui de la droite – de faire marcher
l’ « économie » en offrant sans cesse des privilèges
supplémentaires aux plus riches, pour rester « compétitifs », ce
projet est-il seulement un projet d’avenir ? Seuls les plus riches peuvent
se contenter d’un Etat pauvre, parce qu’il n’ont pas besoin de ses prestations,
ni des services publics. Mais les politiques d’austérité que ne manquerait pas
d’occasionner la RIE III rendraient inévitablement les conditions de vies des
classes populaires de notre pays encore plus difficiles. En réalité, il s’agit
non pas d’une nécessité économique, mais d’une politique de classe, d’une
redistribution des richesses du bas vers le haut. Il ne suffit pas apparemment
au 1% des possédants de posséder la moitié de la richesse mondiale. Ils
voudraient avoir aussi l’autre moitié. La continuité de ces politiques aurait
pour effet de nous mener à une société qui ne serait hospitalière que pour une
toute petite minorité d’ultra-riches…au prix de la précarité, de la misère pour
tous les autres. C’est pourquoi nous devons résister fermement aux litanies
hypocrites sur le « there is no alternative », et lutter résolument
pour une autre société, qui ne tourne pas autour du profit de quelques
possédants, mais soit au service du bien-être de tous ses membres. Ce n’est
certes pas un combat facile, mais il est absolument et vitalement nécessaire,
ne serait-ce que parce que l’autre voie, celle de l’accommodement au
capitalisme, n’apportera que le malheur au plus grand nombre.
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