Bien qu’il soit sans conteste un journal
bourgeois et néolibéral, le Temps est
pourtant sans conteste un quotidien de qualité et intéressant, où paraissent
nombre d’articles dignes d’être lus, même pour un communiste. Il convient en
particulier de saluer l’article publié le 7 mars 2017, signé Olivier Perrin et
consacré à la Révolution russe de février 1917.
On sait très bien en effet que l’Empire
tsariste était déjà aux abois au début du XXème siècle, miné par des
contradictions de classes particulières aigues et violentes, son
sous-développement et son anachronisme patent (une monarchie absolutiste
féodale à l’ère industrielle…). On sait très bien aussi que ce régime tenta,
comme bien d’autres, de résoudre ses contradictions en se lançant tête baissée
dans la Première Guerre mondiale…mais que cette « solution » lui fut
fatale. La Russie des tsars finissante, pays largement agricole, peu
industrialisé et semi-féodal, n’était en effet pas de taille face à son ennemi
direct dans cette guerre impérialiste, le Deuxième Reich de Guillaume II, alors
la première puissance industrielle du monde. Malgré quelques relatifs et
éphémères succès sur le front, la guerre fut globalement un désastre, tant au
plan des opérations militaires qu’à l’arrière. La guerre s’éternisait, faisant
des centaines de milliers de victimes, et les généraux tsaristes avaient de
plus en plus de mal à garder sous contrôle une armée à 90% composée de soldats
d’origine paysanne, excédés de se faire massacrer pour une cause qu’ils
savaient ne pas être la leur, réduits à la famine par un approvisionnement plus
qu’aléatoire, désespérés et prêts à tout pour en découdre. A l’arrière aussi,
la population, déjà misérable avant, était réduite au dénuement le plus absolu,
suite à la désorganisation de la vie économique, à un rationnement drastique, à
un ravitaillement des plus défaillants…pendant que quelques privilégiés
faisaient des profits records et continuaient à vivre dans le luxe, que la corruption
endémique de la bureaucratie tsariste aggravait encore la situation, et que le
gouvernement ne prenait aucune mesure de régulation de l’économie digne de ce
nom, au nom du respect de la propriété privée. La situation était tendue à
l’extrême, le peuple n’en pouvait plus, les grèves et les émeutes se
multipliaient, et n’importe quel événement pouvait être l’étincelle qui
déclencherait l’incendie.
Cette étincelle, ce fut la Journée
internationale de l’Ouvrière, le 8 mars (ou 23 février selon l’ancien
calendrier julien alors en vigueur en Russie), adoptée par le Mouvement des
femmes socialistes, lié à la IIème Internationale, en 1910. Le 8
mars/ 23 février 1917 donc des milliers de femmes ouvrières et ménagères
défilent pacifiquement pour exiger le retour de leurs maris du front et du
pain. Elles sont rejointes par des milliers d’ouvriers du textile, solidaires
avec les 30'000 grévistes de l’usine Poutilov, mis à la rue par le lock-out
patronale et confrontés à la répression de la police du régime. Aux
revendications initiales se rajoutent vite les slogans « pour une paix
immédiate ! », « à bas l’autocratie ! » et « à bas le
tsar ! ». Les étudiants et les employés sa rallièrent rapidement aux
ouvriers, et le 25 février la grève était générale. L’empereur Nicolas II donna
l’ordre de tirer sur la foule, mais il ne fut pas obéi. Le 26, au matin, la
garnison commença à passer du côté de la révolution. Les ministres tsaristes
essayaient de faire venir des unités du front pour réprimer la révolution, mais
personne ne leur obéissait plus. Le Soviet des députés ouvriers et soldats, aux
commandes les premiers jours de la Révolution, entra en fonction le 27. Il
aurait pu prendre le pouvoir à ce moment là déjà, et les affres de la guerre
civile auraient peut-être pu avoir été évités, mais les socialistes
« modérés », mencheviks et SR, n’en n’ont pas voulu. Dans la nuit du
27 au 28, un Comité provisoire de la Douma, composé de tous les partis y
présents, exception faite de l’extrême-droite monarchiste, fut constitué afin
de former un gouvernement provisoire, ce qui fut fait le 2 mars. Le 3 mars,
Nicolas II était poussé à l’abdication par son entourage en faveur de son
frère, le Grand-Duc Michel, qui abdiqua à son tour en faveur du peuple. La
monarchie pluriséculaire des Romanov n’était plus, et laissait place à une
Russie nouvelle.
La Journée internationale des femmes
travailleuses, le 8 mars, fut donc le point de départ du processus
révolutionnaire qui culmina avec Octobre, et conduisit la vielle Russie des
tsars à des hauteurs auparavant inimaginables, dont toutes les vicissitudes
ultérieures ne peuvent effacer la grandeur. Le 8 mars n’est donc pas qu’une
« Journée de la femme », ou une journée onusienne parmi d’autres,
mais une date fondamentalement révolutionnaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire