19 novembre 2020

La défaite de Donald Trump est une bonne nouvelle, mais…


 


Après plusieurs jours de suspense, Joe Biden est finalement élu président des USA. Il s’en est pourtant fallu de peu pour que Donald Trump ne soit réélu. Le président sortant a tout de même engrangé 47,5% des voix. Son rival gagne avec la marge étroite de 50,5%. Mais, selon le peu démocratique, peu logique et archaïque système électoral en vigueur aux USA, ce n’est pas la majorité du peuple qui décide réellement, et Joe Biden dispose d’une majorité au collège des Grands électeurs.

 

Tout n’est pas fini pour autant. Donald Trump crie à la fraude (sans la moindre preuve), refuse de reconnaître sa défaite et va contester les résultats devant les tribunaux. On se dirige vers une longue bataille judiciaire. Les supporters fanatisés, et parfois armés, de Trump se mobilisent en masse contre ce qu’ils pensent être un « vol » de « leur victoire ». On pourrait remarquer que ce qu’essaye de faire Trump – à savoir un coup d’Etat sur le principe, soit je gagne, soit les élections sont truquées, et alors j’exige leur invalidation – ressemble à s’y méprendre aux méthodes utilisées par les USA pour renverser les gouvernements qui leurs déplaisent, auxquelles les Démocrates ne trouvent rien à redire lorsqu’elles sont appliquées à l’étranger, mais qu’ils trouvent soudain tout à fait déplaisantes lorsqu’elles sont utilisées à leur détriment. Toutefois, il y a fort à parier que les gesticulations du président sortant ne donneront absolument rien. Presque tout le monde a d’ailleurs d’ores et déjà reconnu la victoire de Joe Biden.

 

Une défaite pour la réaction

 

Si le slogan « bonnet blanc, blanc bonnet » aurait été hors de propos pour ces élections, c’est que Trump ne représentait pas simplement la continuité de ses prédécesseurs en tant que fondés de pouvoir des grands monopoles, mais quelque chose de bien pire. Symptôme d’un système capitaliste pourrissant, et pour cette raison ultraréactionnaire, Trump en a grandement amplifié les tendances à la fascisation. Il a durci la politique migratoire xénophobe des USA à un point qui rendrait jaloux Christophe Blocher : mur à la frontière du Mexique, séparation des enfants d’avec leurs parents, enfermement dans des cages, limitation drastique des possibilité de migrer légalement aux USA…Il s’est attaqué aux droits des femmes et des LGBT. Il a flatté les suprémacistes blancs et encouragé la violence armée de groupuscules d’extrême-droite, couvant un embryon de chemises brunes. Il a fait du climatoscepticisme une idéologie d’Etat. Il a mené une politique au service exclusif de sa classe – démantèlement social et cadeaux fiscaux démentiels – n’oubliant pas d’utiliser abusivement sa fonction pour s’enrichir au passage. Par contre, son hypocrite sollicitude envers la classe ouvrière s’est révélée du vent, tout comme ses promesses d’ « assécher le marais » (de la corruption), phénomène qu’il a aggravé de façon éhontée.

 

Et, il importe d’insister là-dessus, Trump n’a nullement été un président « pacifique », encore moins un allié contre les élites (lesquelles exactement ?) ou le Nouvel ordre mondial (quoi que ce syntagme veuille dire). Il est désolant que les délires conspirationnistes du type Qanon aient un écho jusque chez des militants anti-impérialistes. Cette porosité n’illustre que trop bien hélas la confusion idéologique de notre époque, et nous rappelle qu’il ne saurait y avoir de compromis en matière d’idéologie. Trump, certes, n’a pas déclenché de nouvelle guerre, et a promis de retirer les troupes (de zones de conflit estimées non-prioritaires). Mais cela reflète plus l’affaiblissement d’un empire sur le déclin qu’une politique de paix. Par contre, il a soutenu le projet d’annexion, scandaleux et illégal, de la Cisjordanie par Israël, aggravé la guerre économique contre Cuba, contre le Venezuela, contribué au coup d’Etat en Bolivie…Sa politique unilatérale d’ « America First », sa rhétorique incendiaire contre l’Iran, sa stratégie de confrontation à outrance avec la Chine…tout cela ne rappelle que trop bien le Japon impérial qui claquait la porte de la SDN…

 

En outre, il convient de nuancer. La défaite de Donald Trump est toute relative. Certes, il n’est pas réélu, et cela change tout. Mais il a engrangé plus de suffrages qu’en 2016 (il n’avait alors pas non plus obtenu une majorité du peuple, seulement des Grands électeurs). Après quatre ans de mandat, non seulement le trumpisme ne s’est pas effondré, mais sa base sociale s’est même consolidée. S’il n’y avait eu sa gestion calamiteuse de l’épidémie du Covid-19, probablement aurait-il été réélu… Trump a semé abondamment des graines brunes, que sa non-réélection n’empêchera pas de germer.

 

Mais pas une victoire pour la gauche

 

Une opposition, pleinement justifiée, à Donald Trump et à ce qu’il représente, a conduit beaucoup de personnes aux convictions progressistes, aux USA et ailleurs, à souhaiter ardemment la victoire du candidat démocrate, et à se réjouir de sa victoire. Que Trump ne soit pas reconduit est une excellente chose, nous en convenons ; et soutenir Joe Biden face à lui se justifiait, nous n’en disconvenons pas. Parfois, le choix du moindre mal s’impose. Le fait en dit toutefois long sur le verrouillage anti-démocratique que constitue le système présidentiel allié au bipartisme…Toutefois, en choisissant le moindre mal, il importe de ne pas oublier qu’on choisit tout de même un mal.

 

Si une chose est sûre – nonobstant l’absurde propagande trumpiste visant à faire passer son adversaire pour un « socialiste » (mais, pour l’aile droite du Parti républicain, tout ce qui est un peu plus à gauche qu’elle est « socialiste ») – c’est que Joe Biden n’a jamais été un homme de gauche. Kamala Harris n’a jamais été une femme de gauche, d’ailleurs. Durant sa longue carrière politique, Joe Biden a voté pour les démantèlement social, a rédigé même le « Crime Bill » en 1994 – loi ultra-répressive responsable de l’incarcération massive de personnes issues de minorités –, soutenu le « Hyde Amendement » qui interdit l’utilisation de fonds fédéraux pour payer l’avortement…Bref, c’est un néolibéral, dont la conversion à l’antiracisme, au féminisme et à la défense des minorités est ambiguë et tardive. Kamala Harris, en tant que procureure de Californie, a mené une politique pénale très peu progressiste : toujours du côté de la police, prônant une application extrêmement dure de la loi envers la petite criminalité, envoyant massivement des Afro-américains en prison pour un oui ou pour un non, très peu zélée en revanche pour poursuivre la criminalité en col blanc. Elle a en outre des liens personnels plus que cordiaux avec les GAFAM. Elle a même reçu un téléphone de Jeff Bezos pour la féliciter de son élection…C’est dire quels intérêts elle défend réellement.

 

Certes, le candidat Biden a dû, pour avoir les suffrages de l’aile gauche du Parti démocrate, adapter son programme dans le sens de la justice sociale : salaire minimum fédéral de 15 $ de l’heure, congés maladie et familiaux payés, reprise du chantier d’une vraie assurance maladie obligatoire (avec une « option publique » comme alternative possible aux caisses privées), 1'300 $ d’investissements dans les infrastructures à titre de plan de relance, « Green new deal », hausse des impôts pour les plus riches et les grandes entreprises. Reste à voir ce qu’il restera de ces promesses, qui n’engagent que ceux qui les croient. Les Républicains pourraient d’ailleurs conserver une courte majorité au Sénat, et bloquer ainsi les projets de loi trop progressistes de la nouvelle administration. Si Joe Biden a réellement l’intention de tenir ses promesses électorales, et en aura le pouvoir, cela apportera un progrès social très tangible pour les classes populaires. C’est indéniable. Mais cela ne représenterait pas un changement radical non plus.

 

En outre, le progressisme éventuel de l’administration Biden-Harris s’arrêterait aux frontières des USA. La politique étrangère de l’Empire ne changera guère. Tout juste un impérialisme cynique et brutal sera-t-il remplacé par un impérialisme plus « poli » et plus « modéré » (dans la rhétorique). Les peuples qui en subissent l’oppression ne devraient guère sentir la différence. Biden avait d’ailleurs voté pour la guerre contre l’Irak de George W Bush, et activement soutenu toutes les guerres d’Obama. L’impérialisme démocrate est tout aussi belliciste et assassin que l’impérialisme républicain, fût-il récompensé par le prix Nobel de la paix.

 

Joe Biden déclarait dans une interview accordée au journal colombien El Tiempo :

 

« Les politiques de Trump n'ont pas réussi. Les dictateurs sont toujours au pouvoir à Cuba et au Venezuela. La répression des droits et la crise humanitaire ne font qu'empirer. Mon objectif sera de promouvoir et de réaliser la liberté des personnes vivant sous les régimes oppressifs dirigés par Maduro, Ortega et le régime cubain. Je défendrai les valeurs universelles de la démocratie et des droits de l'homme. Et, contrairement à Donald Trump, je protégerai les personnes qui fuient l'oppression de ces dictatures. » Nous pensons que tout autre commentaire est superflu.

 

L’espoir d’un vrai changement ?

 

L’espoir ne peut venir ni du progressisme libéral, encore moins de l’extrême-droite, mais d’une rupture avec cette fausse alternative. Une rupture qui ne peut se faire qu’à gauche. Or, 28 candidats du mouvement des Socialistes démocrates d’Amérique (sur 37) ont été élus au Congrès. Ils y seront sans doute en minorité, mais c’est tout de même une grande avancée.

 

L’idée du socialisme renaît aux USA, surtout dans la jeune génération. La chape de plomb maccarthyste est en train de disparaître. Ce lourd héritage idéologique, toutefois, ainsi que le verrouillage imposé par bipartisme, ont réduit les organisations politiques qui portent cette idéologie à la portion congrue. Des partis se réclamant du socialisme existent aux USA, dont le Parti communiste (CPUSA), mais n’arrivent à avoir des élus qu’à une échelle locale. Le renouveau de l’idée socialiste vient aujourd’hui d’un mouvement structuré à l’aile gauche du Parti démocrate. C’est sans doute un début, mais pour lutter efficacement et imposer une rupture avec le capitalisme, les travailleurs doivent s’organiser dans leur propre parti politique, indépendant de ceux de la bourgeoisie.

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