A l’heure où les rapports du GIEC et les grèves
pour le climat nous rappellent que les changements climatiques d’origine
anthropique en cours exigent une action forte et urgente, si nous voulons
éviter le pire, ceux qui détiennent vraiment le pouvoir non seulement
n’agissent à la hauteur de ce que la situation l’exigerait, mais, pour certains
d’entre eux, font en sorte de l’aggraver de beaucoup encore.
Pendant que l’on discute chez nous quelles
mesures il faudrait prendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre
– entre mesures législatives plus ou moins ambitieuses et petits gestes
individuels à l’impact plus ou moins significatif – la forêt vierge d’Amazonie
est en feux, des feux d’une surface plusieurs fois supérieure à celle de la
France. Les médias bourgeois d’ici ont étrangement attendu près de trois
semaines avant d’en parler. Et malheureusement, les feux de forêt en Amazonie
ne sont pas les seuls sur la planète. En Afrique, c’est une zone encore plus
grande qui est atteinte. Hélas, cela n’a rien d’habituel dans cette partie du
monde. Du fait des facteurs conjugués de la sécheresse, du réchauffement
climatique, et de la technique traditionnelle de la culture sur brûlis,
l’Afrique est le continent le plus touché par la déforestation. En Asie du
Sud-Est, la déforestation est un problème endémique. Et, du fait du
réchauffement climatique, les forêts boréales sont également touchées par des
incendies catastrophiques.
Mais les feux en Amazonie ont tout de même
provoqué une émotion mondiale particulière et pleinement justifiée. D’une part
parce que la forêt amazonienne est réputée être le « poumon de la
planète », du fait de l’importance de la production d’oxygène et
l’absorption du carbone par photosynthèse. Cette expression est certes
impropre. D’une part, parce que l’image du poumon n’est pas très bien choisie
(un poumon rejette du CO2). D’autre part parce qu’une forêt produit
tout autant de CO2 (à travers la décomposition des végétaux morts)
qu’elle en absorbe à travers la photosynthèse ; et qu’en matière de
photosynthèse, l’impact du phytoplancton océanique des océans est beaucoup plus
grand que celui de toutes les forêts réunies. Et s’il y a assez d’oxygène dans
l’atmosphère, c’est du fait du carbone qui a échappé au cycle de la
décomposition par la fossilisation. La déforestation ne menace pas la présence
en suffisance d’oxygène dans l’atmosphère. Mais les climatosceptiques ont tort
de spéculer sur ces faits. Parce que la forêt amazonienne est un puits de
carbone majeur, et que sa destruction par le feu rejette du CO2 dans
l’atmosphère en grandes quantités, un CO2 qui y restera et ne sera
pas réabsorbé dans la photosynthèse. Parce qu’un milieu naturel unique, d’une
biodiversité incroyable, disparaîtra à jamais. Parce que la pollution,
l’acidification et le réchauffement climatique mettent à mal la capacité de stockage
de carbone des océans. Et parce que, en brûlant des hydrocarbures, nous
rejetons de nouveau dans l’atmosphère le carbone fossilisé pendant des
centaines de millions d’années. Les incendies en Amazonie attirent aussi
l’attention parce qu’ils n’ont rien d’habituel…
Des incendies qui n’ont rien de naturel
Des incendies d’une telle ampleur n’ont rien
d’habituel en Amazonie, surtout en cette saison. Et la plupart d’entre eux
touchent le Brésil, auquel appartient 60% de la forêt amazonienne. Ces feux
cataclysmiques ne se sont pas déclenchés à un moment quelconque, mais seulement
depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, le président ouvertement
fasciste et climatosceptique du Brésil. Bolsonaro n’a rien fait du tout face à
la propagation des incendies, est resté de marbre face à ce drame, et a même
accusé – sans la moindre once de preuve – les défenseurs de l’environnement de
les avoir déclenchés, juste pour lui nuire. Puis il a consenti à prendre
quelques mesures ridiculement dérisoires, parce que le Brésil n’aurait pas les
moyens d’en faire plus. Mais il a aussi refusé l’aide proposée par les chefs
d’Etat du G7, réunis à Biarritz, hurlant au néocolonialisme, et attaquant
Emmanuel Macron, le président français, sur le physique de son épouse Brigitte…
De la part de Bolsonaro, il ne s’agit pas
seulement de négligence ou de stupidité. Les incendies qui ravagent aujourd’hui
la forêt amazonienne n’ont rien de naturel. Ils sont intentionnellement allumés
par les hommes de main des entreprises de l’agroalimentaire industriel. Ce dans
le but de défricher à grande échelle, pour laisser la place à des champs de
soja transgénique, des autoroutes et des exploitations minières ; sans
aucun égard pour les conséquences écologiques désastreuses de ce saccage, ni
pour les peuples autochtones qui y vivent.
Cette pratique criminelle n’est pas nouvelle, mais elle n’avait jamais
atteint une telle ampleur auparavant. Elle n’avait jamais été éradiquée, mais avait
reculé de près de 80% sous la présidence de Lula et de Dilma Roussef. Le coup
d’Etat parlementaire de Michel Temer avait déjà marqué une nette aggravation.
Si on assiste à la tragédie actuelle, c’est que la déforestation, illégale, se
fait avec le soutien direct et non dissimulé de Jair Bolsonaro, qui avait
promis durant sa campagne de « ne pas mettre de bâtons dans les
roues » des entreprises de l’agroalimentaire, et qui, une fois au pouvoir,
a drastiquement affaibli les agences de protection de l’environnement,
et a laissé carte blanche aux incendiaires.
Remarquons que pendant que Bolsonaro gesticule,
Evo Morales, président de gauche de la Bolivie, autre pays touché par les feux,
a mobilisé toutes les ressources du pays pour les combattre. De ce fait, les
incendies sont en train d’être endigués dans la partie bolivienne de
l’Amazonie.
Peu importe à Guy Parmelin
Pendant que l’Amazonie est
en flammes, que fait le Conseil fédéral ? Il signe un traité de
libre-échange entre l’AELE (zone de libre-échange comprenant la Suisse, la
Norvège, l’Islande et le Lichtenstein) et le Mercosur (bloc commercial
latino-américain, dont la plus grande puissance économique est le Brésil).
Mauvais timing alors que la forêt amazonienne est en feu ? Pas de quoi
émouvoir le conseiller fédéral Guy Parmelin (UDC), qui a déclaré en conférence
de presse : "C'est le hasard du calendrier. Je rappelle qu'on
négocie depuis deux ans"…"Il y a chaque année des départs de feu en
Amazonie [...]. Les négociations sur l'accord avec le Mercosur n'ont rien à
faire directement" avec les incendies. Le Brésil représente en revanche un
immense marché, précieux pour les industries d’exportation suisses. Bref,
l’argent d’abord, la planète peut bien brûler…
Alors que Guy Parmelin ne prend même pas la
peine de faire semblant de se préoccuper du sort de la forêt amazonienne en
feu, Emmanuel Macron, lui, semble y accorder de l’importance, si ce n’est de
faire preuve d’une fermeté bienvenue face à Bolsonaro. Il menace de fait de
bloquer la signature d’un accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur (le
fera-t-il ? Guy Parmelin n’a au moins pas tort de dire que l’accord
pourrait au final tout de même être signé) Mais, en y regardant plus
attentivement, il n’est pas plus crédible, à défaut d’être plus hypocrite. La
France contrôle également une partie de la forêt amazonienne, en Guyane. Une
forêt que Macron veut allègrement déboiser pour laisser place à la Montagne
d’or, une immense mine d’or à ciel ouvert, sans même prendre la peine de
remarquer les protestations des peuples autochtones. Le montant de 20 millions
de dollars que le G7 a proposé au Brésil pour lutter contre les incendies en
Amazonie est du reste inférieur…aux coûts liés à l’organisation du somment du
G7 à Biarritz !
Quant à Donald Trump, le
président ouvertement climatosceptique des USA, il a apporté, à travers son
compte tweeter, un soutien total à Bolsonaro, dont il a osé écrire qu'il « travaille très dur sur les
incendies en Amazonie et fait sur tous les plans un beau boulot pour le peuple
brésilien » ce qui n'est« pas facile ». De telles
déclarations se passent de commentaire…
Ecologie ou agriculture industrielle, il faut choisir
Le problème ne saurait toutefois se réduire à
la personne de Jair Bolsonaro, ni à celle de Donald Trump. Ce serait attribuer
à des individus ineptes des pouvoirs proprement stupéfiants, fût-ce dans le
mal. Si de telles personnes peuvent parvenir au pouvoir suprême, et l’exercer
de la façon qu’elles font, c’est parce qu’il y des intérêts puissants derrière,
des bases sociales objectives pour le climatoscepticisme, jusque dans ses
conséquences criminelles.
Personne, en effet, ne songerait à défricher
l’Amazonie si cela ne rapportait pas beaucoup d’argent à quelques uns ;
quelques uns qui, justement, font partie des soutiens du président Bolsonaro.
Ces « quelques uns », ce sont les propriétaires des entreprises de
l’agroalimentaire brésiliennes, qui défrichent la forêt pour la remplacer par
des « déserts verts », des champs de soja transgénique, allégrement
arrosé d’engrais chimiques et de pesticides de synthèse. Ce qui est notamment
nécessaire pour la production industrielle de viande de bœuf…que l’accord de libre-échange
permettra d’exporter plus facilement dans les pays de l’AELE (et de l’UE si Guy
Parmelin a raison). La concurrence déloyale des produits agricoles des grandes
entreprises de l’agroalimentaire du Mercosur menace de ruiner nombre de paysans
suisse.
L’accord de libre-échange avec le Mercosur,
s’il est ratifié, servira donc d’encouragement à la destruction de la forêt
amazonienne, à des dégâts irréversibles à l’environnement, à l’expulsion des
peuples autochtones de leurs terres ancestrales, à l’encouragement d’un modèle
agricole qui empoisonne les terres comme les consommateurs, et ruine les
paysans.
Il n’y aura pas de solution au problème du
réchauffement climatique sans prendre aussi en compte l’agriculture. Ce qui
implique la rupture avec la logique du libre-échange, pour un protectionnisme
solidaire, au service d’une agriculture paysanne, biologique et locale. Le
Parti Suisse du Travail s’y engage.
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