Contrairement
à ce que l’on croit parfois, l’écologie n’est pas pour le marxisme un thème
nouveau. Déjà Marx lui-même écrivait dans le premier livre du Capital : « Tout progrès dans
l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller les
travailleurs, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans
l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps
un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. Plus un pays,
comme par exemple les Etats-Unis d’Amérique part de la grande industrie comme
arrière-plan de son développement, et plus ce processus de destruction est
rapide. Si bien que la production capitaliste ne développe la technique et la
combinaison du procès de production sociale qu’en ruinant dans le même temps
les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. »
Sans doute n’en n’a-t-on pas toujours tiré toutes les conséquences au XIXème
ni durant une bonne partie du XXème siècle. Les pays socialistes
existant et ayant existé ont également bien souvent privilégié leur nécessaire
développement économique, sans toujours tenir compte des dégâts
environnementaux occasionnés, mais sans non plus que leur bilan en matière
d’écologie soit entièrement négatif, loin de là. On oublie aujourd’hui un peu
vite que la préservation de l’environnement a été un thème réellement débattu
en URSS, et que par exemple un mouvement d’intellectuels a convaincu la
direction du PCUS à renoncer à un projet très controversé de détourner le cours
de grands fleuves sibériens. On ne souvient guère non plus que certaines idées
considérées aujourd’hui très modernes et à l’avant-garde écologique, comme la
polyculture, furent développées à l’origine par le savant soviétique tant
décrié Trofim Lyssenko. On ne parle guère non plus des réalisations
remarquables de la République de Cuba dans ce domaine.
Quoiqu’il
en soit le problème est aujourd’hui si criant qu’il faut la mauvaise foi de
quelques climato-sceptiques issus de la droite étatsunienne pour le nier :
l’objectif du profit maximum à tout prix, qui est le seul que le capital
saurait poursuivre, a poussé les grands monopoles privées, qu’on appelle plus
usuellement multinationales, à poursuivre un modèle productif gaspilleur et
désastreux, cause de dérèglement climatique, de dilapidation des ressources
naturelles, de saccage de l’environnement et de pollution à large échelle. A
terme – un terme bien plus cour que la plupart des gens le croient, quelques
dizaines d’années tout au plus – ce modèle remet en cause la survie même de
notre espèce. Ainsi, par exemple, si
toute la planète avait le même niveau de consommation que la Suisse, elle
aurait besoin de l’équivalent en ressources de deux terres et demi.
Pour
faire face à ce problème, le parti des Verts a lancé une initiative populaire
intitulée « Pour une économie durable et fondée sur une gestion efficiente
des ressources (économie verte) », sur laquelle nous voterons ce 25
septembre. Le but de l’initiative est de réduire l’empreinte écologique de la
Suisse à l’équivalent d’une planète d’ici 2050, et pour ce faire mettre en
place une économie durable et fondée sur une gestion efficiente des ressources,
évitant la formation des déchets dans la mesure du possible (recyclage entre
autres), fondée sur une gestion économe des ressources et évitant de nuire à
l’environnement. C’est là un objectif absolument nécessaire, et qu’on ne peut
que fermement soutenir. Pour mettre en œuvre ces principes, la Confédération
fixe des objectifs à long terme. Si ceux-ci ne sont pas atteints, la
Confédération, les cantons et les communes peuvent prendre des mesures
supplémentaires, notamment l’encouragement à la recherche et à la production de
certains biens et services, mettre en place des normes ou prendre des mesures
fiscales. On le voit, si le principe est très juste et ambitions, les mesures
concrètes pour le mettre en place sont beaucoup plus floues et devraient être
définies par une loi d’application, avec une marge d’interprétation assez large
laissée aux chambres fédérales.
La
majorité de droite des dites chambres fédérales, qui serait chargée le cas
échéant d’élaborer une loi d’application, n’a pas de mots assez durs pour
rejeter cette initiatives. Les affiches de droite contre cette initiative des
verts, qu’on voit fleurir un peu partout, sont absolument délirantes : on
serait le cas échéant interdits de se déplacer, empêcher de manger de la
viande, voire purement et simplement ligotés…ce niveau de mauvaise foi est
assez impressionnant il faut dire. M. Benoît Genecand, conseiller national PLR,
tient un raisonnement intéressant dans les colonnes du Temps du mardi 23 août
2016. Il admet sans réserve la réalité du problème, comme la nécessité du
remède proposé par les Verts. Mais ce remède il le refuse, car son application
serait trop difficile et trop contraignante pour l’ « économie »
(serait mauvaise pour les profits de l’oligarchie en jargon néolibéral). Comme
l’a dit très justement l’auteur d’une lettre de lecteur, l’attitude de M.
Genecand est comparable à celle de quelqu’un qui aurait une carie, en
souffrirait, reconnaîtrait la nécessité de se faire soigner…mais refuserait par
peur de la douleur que pourrait lui occasionner l’opération (et ne parlons même
pas de la douleur due à la facture que l’individu en question devrait payer de
suite et de sa poche…problème dont le parti de M. Genecand nie obstinément
l’existence). Ou pour le dire plus sérieusement, l’attitude de la classe
dirigeante capitaliste, suisse comme mondiale, se résume par la maxime
« après nous le déluge ». Cette oligarchie sait très bien qu’elle
mène l’humanité à l’extinction…mais refuse obstinément de dévier de sa voie, au
nom du profit maximum à court terme ! Une classe dirigeante aussi obtuse
et inepte, qui n’est même pas capable d’assurer la survie de la société qu’elle
domine, ni même la survie de ses propres descendants, ne montre par là que le maintien
de son existence est incompatible avec celle de la société, et qu’elle doit
donc être urgemment détrônée.
Pourtant, à regarder de près le texte de
l’initiative, qui laisse une large marge d’interprétation au législateur, et
surtout à écouter le discours de certaines figures de proue du parti des Verts,
on comprend mal ce qui peut bien provoquer l’ire de la droite. La conseillère
nationale Adèle Thorens notamment défend une interprétation aseptisée et
lénifiante de l’initiative de son parti, une interprétation entièrement
compatibles avec les intérêts du capital et le néolibéralisme, et reposant sur
la coopération volontaire des entreprises, y compris des multinationales, qui
dispenserait de devoir prendre des mesures contraignantes. Car, comme le dit Mme
Thorens « les écologistes ne sont pas des ayatollahs intégristes
déconnectés de la réalité ».
Alors
où est le problème pour la droite ? C’est qu’il y a là une contradiction
qui est inscrite au cœur de l’initiative, et qui est aussi consubstantielle du
parti que sont les Verts. En effet, pour promouvoir leur initiative, les Verts
genevois ont choisi une stratégie quelque peu différente de celle, lénifiante,
de Mme Thorens : organiser des projections gratuites de l’excellent film Demain. Or ce film, loin de ménager les
intérêts et la susceptibilité des puissants, montre de façon univoque le rôle
entièrement nuisible des monopoles privés et d’une économie fondée sur le seul
impératif de la reproduction élargie du capital, et donc en creux la nécessité
de s’en débarrasser, ainsi que la nécessité de remplacer la dictature
oligarchique de fait par une authentique démocratie. Or, pour atteindre ces
objectifs, les quelques moyens préconisés explicitement au sein du film, comme
l’agriculture écologique et durable, les monnaies locales, les coopératives, le
tirage au sort…ne sauraient être opérants ni suffire sans les nécessaires
mesures que sont la socialisation des monopoles privées et le renversement du
pouvoir de l’oligarchie pour le remplacer par un authentique pouvoir populaire.
En clair, une révolution socialiste.
Et
c’est là qu’est la contradiction des Verts et de leur initiative. Ils proposent
un projet très juste et nécessaire, mais dont la réalisation exige une rupture
avec l’ordre existant. Mais les Verts n’ont nullement montré malheureusement
jusque là leur volonté d’aller jusqu’au bout dans cette direction. Aussi,
certains de leurs dirigeants reculent devant les conséquences de leur texte, et
tentent d’en masquer la radicalité avec des interprétations lénifiantes. Mais
la droite n’a pas tort dans la mesure où elle n’est pas dupe : cette radicalité
est bien là, inscrite noir sur blanc dans le texte de l’initiative. C’est
pourquoi elle la combat avec tant de haine. Même si elle aurait tout loisir de
rédiger une loi d’application qui viderait l’initiative des Verts de tout
contenu, n’empêche que resterait dans la Constitution fédérale un article qui
au nom de la survie même de notre espèce impose une rupture avec l’ordre
établi. Non pas que la majorité de droite se sentirait jamais contrainte par
cet article, au nom du respect de la démocratie. Mais le seul fait qu’il existe
serait pour elle inacceptable, puisque cet article servirait d’arme politique
aux forces qui le veulent voir appliqué et ne reculent pas devant ses
conséquences.
Car,
non, il ne saurait y avoir de capitalisme vert, pas plus qu’il ne saurait y
avoir de capitalisme social. Le capitalisme est nécessairement régi par la loi
de la recherche du profit maximum à tout prix, et de ce fait ne peut exister
qu’en détruisant les deux sources de toute richesse, la terre et le
travailleur. Le capitalisme actuel décadent du capital financier et des
multinationales en particulier ne peut continuer à subsister quelque temps
encore qu’en produisant toujours plus de misère et de dévastation de la
biosphère, jusqu’à rendre la planète inhabitable si on le laisse continuer.
Espérer résoudre le problème avec la collaboration volontaire de ceux qui en
sont la cause, les monopoles privés, ce n’est pas seulement être en dehors de
la réalité, c’est aussi faire preuve d’un fanatisme ni moins irrationnel ni
moins dangereux que celui du plus réactionnaire des ayatollahs, celui de la foi
dans la main invisible du libre marché qui comme par miracle amènerait toutes
choses à l’harmonie. C’est pourquoi, nous devons résolument soutenir le combat
des Verts dans ce qu’il a indiscutablement juste, mais pour aller au delà de où
les Verts sont disposés à aller, jusqu’à son aboutissement nécessaire. C’est un
combat que notre Parti est prêt à mener.
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