Livre –
Dans «Marx critique du libéralisme», Stefano Petrucianni, professeur de
philosophie politique à Rome, discute de la critique de la pensée libérale par
marx.
A notre époque, où la pensée unique néolibérale
reste toujours une chape de plomb étouffante, quoique de plus en plus
contestée, un livre comme Marx
critique du libéralisme de
Stefano Petrucianni, professeur de philosophie politique à l’Université La
Sapienza de Rome et Président de la Société italienne de philosophie politique,
est assurément un ouvrage dont nous ne pouvons que recommander la lecture. Le
professeur Petrucianni y a pour but de discuter de la critique de la pensée
libérale par Marx, de discuter du sens de cette critique, de ce qu’elle a de
dépassé et de discutable, et de ce qu’elle a d’actuel et d’indispensable de nos
jours.
Un texte de jeunesse
Par libéralisme, il faut entendre en l’occurrence
non pas le libéralisme économique – qui est, heureusement, de plus en plus
contesté – mais le libéralisme politique, cette philosophie politique dont
parfois on ne se rend même plus compte qu’elle est une doctrine à part, et
opposée à d’autres, tellement elle fait office d’idéologie politique fondatrice
pour les Etats démocratiques occidentaux: la philosophie de la Révolution
française, celle des droits de l’homme et du citoyen, celle de la liberté de
chacun qui va légitimement aussi loin jusqu’au point où elle ne lèse pas la
liberté d’autrui. Bref, la «liberté des modernes», ou la «liberté négative» des
libéraux; philosophie politique qui est également au fondement de la pensée
d’un Friedrich Von Hayek ou d’un Milton Friedman.
Le texte fondamental où Marx discute de cette
question est La Question juive,
un texte de jeunesse (1843), mais dont il conservera les intuitions et
conclusions essentielles dans son œuvre ultérieure. C’est là où on trouve le
célèbre passage: «Aucun des prétendus droits de l’homme ne dépasse donc l’homme
égoïste, l’homme en tant que membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire un
individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de
son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé. L’homme est loin d’y
être considéré comme un être générique; tout au contraire, la vie générique
elle-même, la société, apparaît comme un cadre extérieur à l’individu, comme
une limitation de son indépendance originelle. Le seul lien qui les unisse,
c’est la nécessité naturelle, le besoin et l’intérêt privé, la conservation de
leurs propriétés et de leur personne égoïste».
De nombreuses lectures et controverses
Un texte qui a donné lieu a bien de lectures et de
controverses. Stefano Petrucciani montre d’une façon assez convaincante que la
valeur fondamentale, qui donne tout son sens à la critique que fait Marx du
capitalisme, n’est ni la justice, ni même l’égalité, mais la liberté. Si Marx
se tourne contre le libéralisme, c’est parce qu’il entend la liberté en un sens
diamétralement opposé à la «liberté négative» des libéraux, qui ne libère
réellement personne, et dont Friedrich Von Hayek assume sans scrupules qu’elle
peut très bien être celle de «mourir de faim». La véritable liberté est,
d’après Marx, la liberté positive, celle d’une maîtrise effective par l’être
humain sur son destin, sa libération de toutes les forces sociales objectives qui
l’oppriment, une liberté qui ne peut être réalisée dans la société libérale de
la lutte égoïste de tous contre tous, mais seulement dans une société
socialiste où la liberté d’autrui est la condition de celle de chacun, et non
sa limitation. Un livre dont on ne saurait trop recommander la lecture.
Alexander Eniline
Marx critique du libéralisme, Editions Mimésis,
février 2018, 137 pages.
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