18 juin 2018

Oui à la laïcité, non à une logique de discrimination

Réuni en sa séance du 28 mai 2018, le Comité directeur du Parti du Travail a pris la décision, non sans un débat approfondi, et à une très large majorité, de soutenir le référendum contre la Loi sur laïcité de l’Etat (LLE), dont la première mouture avait été élaborée par le conseiller d’Etat Pierre Maudet, et la version finale votée par une majorité, de droite, du Grand Conseil. Ce référendum  a été lancé à l’origine par une coordination référendaire, portée par principalement par solidaritéS, avec le renfort de quelques syndicalistes, et d’associations musulmanes. Depuis, la CGAS, la Jeunesse socialiste et les Jeunes Verts ont également décidé de le soutenir.

Pourquoi cette décision ? Le Parti du Travail est profondément attaché au principe de la laïcité, qui fait partie de l’héritage progressiste de la révolution bourgeoise. Mais on ne juge pas une loi à son intitulé. En quoi la LLE fait-elle avancer la cause de la laïcité ? La séparation de l’Eglise (ou des différentes Eglises) et de l’Etat est réalisée depuis bien longtemps, et aucun groupe religieux ne la remet en cause, ni n’est en position de faire valoir de quelconques prétentions théocratiques. La LLE ne visait nullement à résoudre un quelconque problème existant, mais à doter d’une loi d’application un article de la nouvelle Constitution, pour lequel ce n’était pourtant pas nécessaire, ni utile.

Les nouvelles dispositions les plus importantes qu’elle introduit, est l’interdiction de porter tout « signe religieux » aux élus et aux employés de l’Etat. Par là, l’Etat intervient bien plutôt dans des questions de conscience de ses employés, plutôt que de s’en abstenir, ce qui devrait être le cas d’un Etat laïque. Et quels « signes religieux » seraient visés ? Les deux communautés religieuses qui seraient les seules à être en position d’avoir des prétention théocratiques – les catholiques et les protestants – ne sont pas concernés du tout par cette disposition, la croix se portant usuellement sous la chemise. Mais les élus de droite, dont certains sont membres du parti au nom, très laïque, de Parti démocrate-chrétien, n’ont pas fait mystère de leurs intentions. Une catégorie de la population, et une seule, est visée : les femmes musulmanes qui portent le voile.

Intention très peu laïque : s’en prendre à une catégorie, minoritaire, de la population, dont on prétend qu’elle pose un problème particulier – le tort principal des musulmans étant de ne pas « s’intégrer », et de menacer une civilisation aux fondements « judéo-chrétiens ». C’est le fameux « on ne se sent plus chez nous ».. On ne voit que trop les ravages que le détournement démagogique de la « laïcité » dans une optique discriminatoire a fait dans le débat public français. La bourgeoisie genevoise souhaite importer cette détestable logique chez nous. C’est là le phénomène décrit par Lénine dans Socialisme et religion, en 1905 : « La bourgeoisie réactionnaire s’est partout appliquée, et commence à s’appliquer chez nous aussi, à attiser les haines religieuses, pour attirer dans cette direction l’attention des masses et les détourner des questions politiques et économiques véritablement importantes et capitales ».

Le Parti du Travail ne peut qu’être opposé à une telle logique. Non pas que nous défendions que le port du voile soit en tant que tel une « liberté », ni que nous fermions les yeux sur les méfaits de l’islamisme, principalement pour les musulmans eux-mêmes d’ailleurs. Mais ce n’est certainement pas une discrimination à l’embauche qui va libérer quelque femme que ce soit ; encore moins des élus de droite, en majorité masculins, qui se refusent à voter toute loi contraignante en matière d’égalité des salaires. Il n’y a d’ailleurs actuellement aucun problème véritable de cohabitation à Genève posé par les musulmans – si ce n’est dans la tête de certains. Il n’est pas question pour nous de créer un problème nouveau, et d’introduire de la discrimination, pour satisfaire une logique de division voulue pour la bourgeoisie, ni d’accepter la stigmatisation. Pour reprendre une référence, qui ne saurait pas forcément du goût de solidaritéS, en transposant aux musulmans ce qui y est dit des chrétiens :


« Nous n’interprétons pas l’évolution d’un grand nombre de chrétiens comme le signe qu’une convergence philosophique peut désormais être trouvée entre le marxisme et le christianisme. Les fondements philosophiques de ces deux conceptions du monde sont radicalement  différents. Mais nous ne considérons pas que cette différence doive conduire à ranger, au cours du combat social et politique, les communistes dans un camp et les chrétiens dans un autre. Pour nous, la véritable ligne de démarcation entre les français n’est pas tracée par la diversité de leurs convictions philosophiques ou religieuses ; elle passe entre la petite minorité qui exploite et opprime et l’immense majorité des victimes de cette politique, qu’elles croient en Dieu ou soient athées, qu’elles aillent à la messe ou non. Nous sommes plus près d’un travailleur chrétien que d’un banquier voltairien, d’un partisan de la paix chrétien que d’un capitaliste qui tire profit de la vente d’armement à l’étranger, fût-il athée, d’un chrétien démocrate que d’un agent des monopoles matérialiste ». (Georges Marchais, Le défi démocratique, Grasset, Paris, 1973, p. 139)

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