La pandémie du
COVID-19 n’est pas encore finie – elle s’accélère même de par le monde – et
pourtant, dans son ombre, se profile une crise économique et sociale majeure,
plus longue, plus profonde et plus durable que les secousses occasionnées par
le virus. Les faits, largement étayés dans la presse, sont parlants.
Dans une
interview à NBC, Dave Calhoun, PDG de Boeing Corporation – l’une des plus
grosses multinationales de l’aviation et de l’armement – a admis que sa société
envisageait très probablement une contraction d’activité, suite à la baisse du
trafic aérien, qui ne devrait pas revenir à son niveau d’avant-covid avant plusieurs
années, et qu’une faillite n’est pas exclue. Boeing a d’ores et déjà procédé à
16'000 licenciements et réduit sa production.
Boeing
Corporation n’est pas la seule entreprise confrontée à ce problème. Tout le
secteur aérien est pratiquement à l’arrêt. Personne ne s’attend à un retour de
la situation d’avant-covid avant plusieurs années. Malgré l’aide étatique, il
semble évident que toutes les compagnies aériennes ne survivront pas. En
Suisse, le secteur aérien représente 200'000 emplois directs.
Il ne serait
pas correct de voire cette crise du secteur aérien comme un phénomène localisé,
dû aux circonstances particulières de la pandémie. Car une entreprise qui fait
faillite, c’est une entreprise qui arrête de payer ses salariés, ainsi que ses
fournisseurs, qui sont à leur tour confrontés au problème d’honorer leurs
propres paiements…la crise peut ainsi occasionner des faillites en chaîne, et
contaminer l’économie entière.
En outre, le
secteur aérien n’est pas seul à être touché. L’industrie suisse des machines
s’attend à un recul notable, car, en prévision de la crise imminente, peu
d’entreprises sont prêtes à des investissements productifs. L’industrie
horlogère est également confrontée à une contraction de la demande. Et ces
secteurs ne sont pas les seuls à être dans ce cas.
Le commissaire
européen à l’économie, Paolo Gentiloni, a ouvertement envisagé « un choc
économique sans précédent depuis la Grande Dépression ». On prévoit de
fait 7,5% de récession dans l’UE, la faillite de 18% des entreprises de l’Union
(et jusqu’à 22% en Espagne), et 9% de chômage. D’après les estimations du SECO,
le PIB de la Suisse baissera de 6% à 12% cette année. Le taux de chômage
devrait atteindre jusqu’à 30% aux USA. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Rien
n’incite à penser qu’il ne s’agisse que de difficultés passagères. D’ailleurs,
la levée des mesures de confinement n’a nullement mis un terme aux tendances
déflationnistes. Nous sommes en réalité au commencement d’une crise économique
majeure, sans équivalent depuis 1929.
Causes structurelles de la crise
La crise
économique ne saurait s’expliquer seulement par le coronavirus. Des épidémies
(certes généralement locales) des dernières décennies ont vu deux ou trois mois
de récession, due aux mesures de confinement lorsque celles-ci ont été prises –
suivie d’un regain d’activité et d’un retour à la normale. La mise en mode
veille de la plupart des activités non-essentielles pendant quelques deux mois
ne représenterait pas un problème majeur pour un mode de production moins irrationnel
que le capitalisme. Même pour le capitalisme, il n’y aurait là rien
d’insurmontable en temps normal.
Mais le fait
est que la situation de l’économie mondiale avant l’épidémie n’avait rien de
« normal ». Une nouvelle crise systémique était en gestation, son
déclenchement n’étant retardé que par l’usage intensif de la planche à billet,
des taux nuls, voire négatifs, par les banques centrales. L’épidémie n’a été
que la secousse de trop, qui a plongé l’économie mondiale dans la crise qui
était imminente. C’est tellement vrai que la Suède, qui n’a mis en place aucune
stratégie de confinement – tablant sur une dangereuse et illusoire stratégie de
l’ « immunité collective », au prix d’une surmortalité
particulièrement élevée – n’en voit pas moins son économie plongée dans la
récession.
Il s’agit en
réalité d’une crise de suraccumulation du capital – atteignant aujourd’hui des
proportions vertigineuses – avec pour conséquence une surproduction relative
par rapport à la demande solvable, entraînant nécessairement la crise, selon
une dynamique expliquée par Karl Marx dans Le
Capital, Livre III, ch. 13 :
« Par
rapport à la population, l’énorme force productive qui se développe dans le
cadre du mode de production capitaliste, et l’accroissement des valeurs-capital
qui augmentent bien plus vite que la population, entrent en contradiction avec
la base au profit de laquelle s’exerce cette énorme force productive et qui,
relativement à l’accroissement de richesse, s’amenuise de plus en plus, et avec
les conditions de mise en valeur de ce capital qui enfle sans cesse. D’où les
crises. »
Le
déclenchement de la crise n’a été provisoirement retardé, comme nous l’avons
dit, que par la planche à billets. Aujourd’hui, c’est en injectant massivement
des liquidités dans l’économie par le même procédé que les Etats essayent de la
juguler. Or, l’usage de la planche à billet ne saurait être une solution que
temporaire, qui repousse un peu le déclenchement de la crise, mais en
l’aggravant le moment venu. L’injection de liquidités signifie accroître encore
la suraccumulation du capital…qui ne peut être valorisé, étant donnée la
suraccumulation existante, impliquant la baisse tendancielle du taux de profit
dans l’économie réelle, que dans la fuite en avant dans la spéculation financière,
créant l’illusion d’un capital purement financier qui se valorise par lui-même,
de l’argent qui engendre de l’argent. Mais cela ne peut durer longtemps.
L’autonomie du capital financier n’est qu’apparente, et cette dissociation est
fatalement brisée, ramenée à la réalité, ce qui constitue à proprement parler
la crise financière (qui semble être une crise financière s’étendant à
l’économie réelle, alors qu’il s’agit d’une crise de suraccumulation dont le
déclenchement n’a été que retardé par le recours à la spéculation), selon un
mécanisme décrit, une fois encore, par Karl Marx, dans Le Capital, Livre III :
« Bien
qu’il soit rendu autonome, il n’est jamais autre chose que le mouvement du
capital industriel dans la sphère de la circulation. Mais, grâce à son
autonomie, ses mouvements sont, dans certaines limites, indépendants des
barrières élevées par le processus de reproduction qu’il impulse lui-même
au-delà de ses propres limites. La dépendance à l’intérieur et l’autonomie à
l’extérieur finissent par conduire les choses jusqu’au point où la connexion
interne doit être rétablie par la violence, c’est-à-dire par la crise ».
Nous sommes
actuellement à l’aube d’un tel « rétablissement de la connexion interne
par la violence ». L’économie réelle est en effet d’ores et déjà en
récession, alors que les marchés financiers bénéficient d’une simili-reprise,
due à l’injection massive de liquidités par les Etats.
Quelles solutions ?
Il n’est dès
lors pas inutile de regarder comment la bourgeoisie a réussi à
« résoudre » les précédentes crises structurelles de son système
économique. Une reprise après la crise de 1929 ne fut possible qu’après la
Deuxième Guerre mondiale, et les colossales destructions de capital – et de
vies humaines – qu’elle apporta, ce qui rendit possible un redémarrage de
l’accumulation capitaliste, pour une trentaine d’années. La crise du capitalisme
monopoliste d’Etat dans les années 70 posait objectivement la question de la
transition au socialisme. La bourgeoisie ne parvint à éviter cette issue que
par la contre-révolution néolibérale dans les métropoles et un rétablissement
aggravé de l’oppression néocoloniale, à coup de guerres et de plans
d’ajustement structurels, dans le Tiers Monde. Une nouvelle crise ne fut
néanmoins – provisoirement – évitée que par la contre-révolution dans la
plupart des pays socialistes à la fin des années 80, qui ouvrit un nouveau
champ d’expansion colossale au capitalisme. Le répit ne fut que de 20 ans. Pour
« résoudre » la crise de 2008, après quelques propos hypocrites et
vite oubliés sur la « moralisation du capitalisme », les
décideurs bourgeois eurent recours à des politiques d’austérité d’une violence
sans équivalent depuis longtemps. Outre leurs dégâts sociaux, ces mesures sont
en réalité récessives – en diminuant brutalement la demande solvable – et de
nature à aggraver les causes structurelles de la crise. Pour relancer
l’accumulation du capital, la bourgeoisie eut recours, d’une part à
l’aggravation de l’exploitation de la force de travail, par l’austérité, la
baisse des salaires, l’ubérisation, l’intensification du travail, l’industrie
4.0, d’autre part à la fuite en avant dans la spéculation financière, facilitée
par l’usage massif de la planche à billets, les taux nuls, voire négatifs,
pratiqués par les banques centrales. De telles « solutions » ne
pouvaient que précipiter le retour d’une crise aggravée. Nous y sommes.
Cette histoire
nous apprend, d’une part, que la crise systémique du capitalisme s’aggrave –
crises plus fréquentes et plus graves, phases de reprise plus courte et plus
ambiguës – et, d’autre part, qu’elle ne peut être résolue dans le cadre du système,
que ce soit par des mesures keynésiennes, la planche à billet, des solutions
« techniques », et encore moins par un prétendu « capitalisme
vert », qui n’est que du greenwashing.
L’état même du développement des forces productives, le niveau atteint par la
concentration du capital, exigent la transition au socialisme. Autrement, la
bourgeoisie relancera le cycle d’accumulation du capital, au prix d’une
nouvelle aggravation de l’exploitation, de mesures de plus en plus
insoutenables pour les peuples comme pour l’environnement, et peut-être de la
guerre…jusqu’à la prochaine crise. L’alternative est claire. Le choix est
urgent. Beaucoup de gens commencent à le percevoir confusément. Le rôle
historique d’un parti tel que le nôtre est crucial dans ces circonstances.
La bourgeoisie suisse, ses
associations patronales et ses partis politiques, est d’ores et déjà à
l’offensive pour faire payer la crise aux travailleurs, au peuple :
pression à la baisse sur les salaires, attaques contre les droits des travailleurs,
extension des heures de travail, démantèlement supplémentaire des assurances
sociales…Cette offensive est doublée d’une campagne idéologique : nous
sommes tous sur le même bateau, la pandémie a coûté cher, personne n’a été
laissé au bord du chemin (ce qui n’est pas le cas en réalité), maintenant tout
le monde doit faire des sacrifices…Il ne s’agit en réalité pourtant que
d’accroître le taux d’exploitation pour le profit du capital, ce qui a peu à
voir avec la pandémie. Le Parti du Travail mènera une lutte inlassable pour
expliquer la vraie nature de la crise, pour refuser que ce soit le peuple qui
la paye, pour un programme alternatif à celui de la bourgeoisie, fondé sur la
justice sociale, la solidarité, et qui ouvre la voie vers le socialisme.
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