Pour une fois qu’un livre
publié aux éditions Delga – une excellente maison d’édition communiste
française, hélas insuffisamment diffusée – est disponible à la librairie Payot,
au rayon histoire, nous ne pouvions pas ne pas vous le recommander. Surtout
qu’il ne s’agit pas de n’importe quel livre. L’ouvrage en question, ce sont les
Carnets de prison, rédigés par Erich
Honecker, ancien secrétaire général du SED (Parti socialiste unifié
d’Allemagne, le parti au pouvoir en ex RDA), en 1992, à la prison de
Moabit ; la même où, jeune antifasciste, il fut incarcéré sous le
Troisième Reich. Erich Honecker y était alors poursuivi par la justice de la
RFA dans le cadre d’un procès scandaleusement politique et revanchard.
L’accusation s’est complètement discréditée, et Erich Honecker fut libéré et
put finir ses jours au Chili, bien que l’incarcération ait porté une atteinte
irrémédiable à sa santé.
Dans ses Carnets de prison, Erich Honecker
revient sur les circonstances de la liquidation de la RDA, mais aussi sur ses
réalisations, que la restauration du capitalisme a balayé. Une lecture
salutaire, ne serait-ce que comme contre-point à la propagande écœurante à la
gloire de la « réunification » – élégant euphémisme pour parler de
l’annexion pure et simple de la RDA par la RFA, dont le droit et les
institutions furent rayés d’un trait de plume, les réalisations brutalement
mises au rebut, et les habitants traités en citoyens de seconde zone – et de la
restauration du capitalisme. Le mécontentement
persistant en ex RDA suffirait à invalider ce récit.
Le propos d’Erich Honecker a
le mérite de se placer à contre-courant du récit dominant : « On ne
trouvera pas dans ces pages la moindre concession à la société capitaliste
d’exploitation, à son idéologie et à sa “morale“ ». Car, malgré toutes les
épreuves, il n’a rien renié de ses convictions (est-il nécessaire de souligner
qu’il était tout sauf un apparatchik sans principes ?) : « J’ai
été durement touché par l’effondrement de la RDA, mais – comme de nombreux
compagnons de lutte – je n’ai jamais perdu ma foi dans le socialisme, seule
possibilité de fonder une société humaine et juste. Les communistes
appartiennent au camp des persécutés de la terre depuis que le capitalisme
existe, mais ils ne sont pas sans avenir ».
Loin de la propagande
revanchiste et anticommuniste usuelle, Erich Honecker explique tout le travail
réel accompli par les communistes de la RDA, qui ont fait en quarante ans d’un
champ de ruines un pays moderne et socialement avancé, ainsi que les
circonstances de sa chute. Plutôt qu’un soulèvement spontané du peuple avide de
libre marché, ce qui s’est passé, c’est une trahison accomplie sous les
auspices de Gorbatchev, qui a poussé d’abord à l’élimination de la vielle garde
du SED et à l’ouverture de « réformes », puis au limogeage de ceux
qui avaient accompli cette première partie de son plan, faisant du SED un
bateau à la dérive, incapable de jouer le moindre rôle actif. Le portrait
d’Egon Krenz, successeur d’Erich Honecker à la tête de la RDA, est
particulièrement pu flatteur. Nous voudrions nuancer cette impression. Erich
Honecker avait sans doute de bonnes raisons personnelles d’en vouloir à son
successeur, mais Egon Krenz fut également persécuté par la justice de la RFA,
et resta également fidèle à ses convictions communistes et à l’héritage de la
RDA
On peut ne pas être d’accord
en tout avec l’ancien secrétaire général du SED, on est en droit de considérer
que tout n’allait pas pour le mieux en RDA – il reconnaît d’ailleurs lui-même
de nombreuses insuffisances, notamment en matière d’écologie – mais sa voix mérite
d’être entendue. La conclusion de ses Carnets
de prison aurait pu avoir été écrite aujourd’hui :
« Il n’est pas exagéré
de dire que le capitalisme s’est empêtré dans un immense nœud de contradictions
qui exigent une solution. Si on en reste à la croyance enfantine que « le
marché peut tout régler », aucun des problèmes de l’humanité ne sera
résolu. C’est pourquoi, inévitablement, de nouvelles forces sociales
apparaîtront, qui prôneront et inventeront de nouveaux rapports sociaux ».
« Soit l’humanité sera
précipitée dans l’abîme par le capitalisme, soit elle vaincra le capitalisme.
Cette dernière solution est la plus vraisemblable et la plus réaliste, car les
peuples veulent vivre ».
« Malgré toutes les
difficultés et les dangers, malgré la sinistre situation actuelle, je suis et
demeure confiant. L’avenir appartient au socialisme ».
Ces mots, nous aurions aussi
pu les écrire.
Alexander Eniline
Livre : Honecker Erich,
Carnets de prison, Editions Delga,
Paris, 2019
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