Le 12 février 2017, le
peuple suisse rejetait, par 60% des voix, la troisième réforme de l’imposition
des bénéfices des entreprises (RIE 3). Le Parti socialiste suisse (PSS) avait
combattu alors ce projet, pas tant pour des questions de principes que par
mesure de représailles envers une droite qui n’a pas voulu négocier avec lui
sur cet objet. N’ayant cure de la volonté populaire clairement exprimée, mais
voulant se donner quand même une chance de victoire en votation, la majorité de
droite aux chambres fédérales a préféré cette fois-ci faire un compromis pourri
avec le PSS et de revenir avec une copie conforme de la RIE 3, en y joignant
une « compensation sociale » quant au financement de l’AVS (niveau
paquet ficelé, on atteint là le sommet de l’artificialité). C’est donc la
RFFA : la Réforme de la fiscalité et du financement de l’AVS. A Genève, le
Grand Conseil a adopté une adaptation cantonale de la RFFA, dans le cadre de la
loi sur l’imposition des personnes morales (LIPM). Les deux objets sont soumis
au peuple lors de la votation de ce 19 mai 2019. Il faut résolument voter 2X
NON !
En quoi consiste exactement la RFFA ?
Pourquoi cette
réforme ? Le fait est que la Suisse est depuis des dizaines d’années un
paradis fiscal, qui propose à des multinationales étrangères des « statuts
spéciaux », leur permettant ainsi de payer de beaucoup moins d’impôts que
les entreprises suisses, dont le statut est « normal ». L’Union
européenne n’est plus disposée à tolérer cette concurrence déloyale. La
« solution » trouvée par la majorité de droite des chambres
fédérales, et qui a désormais l’appui du PSS, c’est certes de supprimer les
statuts spéciaux – et donc de mettre les sociétés à statut à un régime fiscal
« normal » – mais aussi de baisser le taux d’imposition des
entreprises, ainsi que d’offrir des possibilités de déductions fiscales
supplémentaires (intérêts notionnels, patent box, etc.), de façon à ce que les
sociétés anciennement à statut ne paient pas plus qu’avant, ou à peine plus, et
que les entreprises suisses « normales » voient leur taux
d’imposition baisser d’autant. Le système fiscal étant variable selon les
cantons, des lois cantonales pour son application sont requises. D’après le
Conseil fédéral, la RFFA ferait perdre aux collectivités publiques 2,1
milliards de francs par année. Ce serait plutôt entre 4 et 5 milliards d’après
une étude réalisée à l’Université de Lausanne. En l’occurrence, il est plus
raisonnable de tabler sur une estimation haute. Le Conseil fédéral n’est guère
digne de confiance. N’oublions pas en effet qu’il avait menti, de façon
flagrante, lors de la votation sur la RIE 2, annonçant des pertes fiscales dix
fois inférieures à celles qui eurent lieu. Le peuple vota OUI à une très faible
majorité. Le Tribunal fédéral reconnut le mensonge, mais refusa nonobstant d’annuler
le résultat…
La loi d’application
genevoise de la RFFA, qui correspond presque intégralement au projet initial
élaboré par la conseillère d’Etat PLR Nathalie Fontanet, prévoit une réduction
du taux d’imposition sur le bénéfice des entreprises, qui passerait de 24,2% à
13,99%. Les pertes fiscales pour le canton et les communes s’élèveraient à 186
millions de francs la première année, mais atteindraient plus de 420 millions
la cinquième année, une fois que la réforme sera rentrée pleinement en vigueur.
Le groupe parlementaire socialiste avait participé à ce navrant
« compromis », avant d’être finalement désavoué par la base, et non
sans que certains députés n’aient défendu la RFFA jusqu’au bout.
En guise de
« contrepartie sociale, au niveau fédéral ce serait un financement
supplémentaire pour l’AVS, sous forme de hausse des prélèvements sur les
salaires, de la TVA, et de la contribution fédérale, sensées pérenniser
celle-ci. Bref, une « compensation » que nous payerions nous-mêmes,
qui n’implique aucune amélioration des rentes pour les retraités actuels ou
futurs, et qui ne changera rien aux velléités de la droite d’augmenter l’âge de
départ à la retraite – elle-même est claire sur ce point, n’en déplaise aux
promesses hypocrites du PSS. Pour ce qui est des contreparties sociales au
niveau cantonal, il s’agirait du contre-projet à l’initiative pour des primes
plafonnées à 10% du revenu, que le Grand Conseil aurait eu des raisons de faire
de toute façon, et qui n’est même pas lié juridiquement à la RFFA ! En
outre, avec quoi le financerait-on, tenant compte des pertes fiscales que la
RFFA ne manquera pas d’induire ?
Avec des conséquences sociales dramatiques
Ces 4 à 5 milliards de
pertes fiscales par an au niveau suisse, et 450 millions pour notre canton, ne
sont pas que des chiffres. Les conséquences seraient douloureusement concrètes
pour la population, et tout spécialement pour les classes populaires. Car moins
de rentrées fiscales, c’est nécessairement des coupes dans les dépenses, ou une
hausse d’impôts sur les personnes physiques, ou éventuellement une hausse de la
dette, qui serait de toute manière suivie peu de temps après par des coupes
budgétaires massives pour réduire l’endettement de l’Etat. Les communes
genevoises perdraient ainsi entre 10% et jusqu’à 25% de leurs revenus
( !). Solution : augmenter le centime additionnel (ce qui n’est pas
très populaire), ou bien couper dans des dépenses indispensables à la
population.
La majorité de droite au
niveau cantonal ne fait guère mystère de ses intentions : pour compenser
les pertes de rentrées fiscales dues à la RFFA, ce sont les dépenses de l’Etat
qu’il faudra réduire. Il n’est pas compliqué de deviner quelles dépenses vont
passer à la trappe. Ce seront inévitablement les prestations sociales qui
seront rognées une fois de plus, péjorant d’autant le sort des gens qui sont
déjà les plus précaires, ce pendant que les gros actionnaires pourront s’offrir
des dépenses de luxe supplémentaire (comme s’ils n’en avaient pas déjà
assez !) grâce à RFFA. Ce seront aussi les services publics les plus
indispensables (HUG, TPG, crèches) qui feront l’objet de réductions de
financement et de suppressions de postes. Ce seront les subventions à la
culture, au sport, etc. qui feront l’objet de coupes. Et ce seront les taxes et
les émoluments perçus par l’Etat qui augmenteront d’autant, pour compenser les
pertes de revenus. Ce sera encore à nous de payer pour les cadeaux fiscaux dont
profiteront quelques actionnaires.
Une réforme ni équilibrée ni indispensable
Certes, mais il n’y a de
toute manière pas d’autre choix que la RFFA, et la refuser aurait des
conséquences pires encore, pourraient rétorquer ses partisans. Nous refusons
pour notre part cet argument, qui n’est qu’un avatar du « There is no
alternative » thatchérien. Il est certes indispensable de supprimer les
statuts spéciaux pour les multinationales étrangères – nous y sommes tout à
fait favorables – mais cela n’implique nullement d’étendre leurs privilèges à
toutes les entreprises en Suisse !
Oui, mais sinon ces
entreprises, aujourd’hui au statut, vont partir, que disent les opposants.
D’abord, ce n’est pas si certain. La fiscalité n’est qu’un des facteurs, parmi
d’autres, qui font l’attractivité de la Suisse pour les entreprises. Il y a en
a d’autres : une fiscalité qui, même sans la RFFA, resterait plutôt basse
en moyenne internationale, des charges sociales et une TVA basses, une
personnel qualifié, un écosystème économique introuvable ailleurs, ainsi qu’une
qualité de vie, qui dépend aussi des services publics que la RFFA menace.
Certaines de ces entreprises partiraient sans doute, mais d’autres resteraient,
et payeraient plus d’impôts qu’aujourd’hui.
Contrairement à ce que les
partisans affirment, la RFFA ne profitera pas aux PME, ou à peine. Pour la
bonne et simple raison que la plupart des PME suisses peinent à tourner, et de
ce fait ne réalisent presque pas de bénéfices. La RFFA ne leur apporterait donc
rien. Ses partisans le savent fort bien…et mentent. Les PME seraient en réalité
plutôt perdantes, car elles recevraient moins de commandes de collectivités
publiques, qui auraient moins de rentrées. Les bénéfices, eux, iraient aux
multinationales.
Mais, surtout, principale
raison, il faut résolument combattre la RFFA car elle participe d’une logique
néolibérale de transfert des richesses du bas vers le haut, dans la poche de
quelques privilégiés. Les partisans prétendent que la RFFA va stimuler
l’économie et créer des emplois. D’une part, c’est grossièrement faux :
l’Etat est aujourd’hui le premier créateur d’emplois en Suisse, et devra
fatalement supprimer des postes si la RFFA passe, alors que plusieurs
entreprises qui seraient bénéficiaires de la réformes n’en annoncent pas moins
déjà des licenciements. D’autre part, cette propagande ressortit au mythe
néolibéral du ruissellement, qui prétend que si on baisse les impôts pour les
riches et les grandes entreprises, si on laisse les richesses se concentrer
entre leurs mains, elles vont ensuite en ruisseler, créant activité économique
et emplois, qui bénéficieront à tous. Or cela ne s’est jamais produit nulle
part. le seul ruissellement qu’on ait jamais observé, c’est celui, à sens
unique, vers les poches des plus riches.
Les inégalités n’ont jamais été aussi abyssales que de nos
jours. Actuellement, 8 personnes (oui, seulement 8 !) en possèdent autant
que les 50% les moins riches de la population mondiale. En Suisse, la richesse
moyenne des 300 personnes les plus riches de notre pays c’est accrue de 340%
entre 1989 et 2017. Et, dans le même temps, plus d’un million de personnes
vivaient dans la pauvreté en 2016, d’après les chiffres de Caritas. N’est pas
assez ? Faut-il aussi que cette poignée de privilégiés insatiables s’approprie
aussi la moitié restante de la richesse mondiale ? Il n’est que temps de
mettre un frein à cet accaparement scandaleux aux mains de quelques uns, et qui
laisse tous les autres livrés à leur triste sort. Le 19 mai, il faut résolument
voter 2X NON à la RFFA !
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