L’ « accord-cadre »,
l’ « accord institutionnel » – de son nom complet
l’ « accord facilitant les relations bilatérales entre l’Union
européenne et la Confédération suisse dans les parties du marché intérieur
auxquelles la Suisse participe » –, actuellement en cours de consultation,
est incontestablement Le sujet chaud de la politique suisse, et le serait
certainement lors des élections fédérales de cet automne. Tout le monde en
parle, en bien ou en mal, pour en dire beaucoup de choses, si bien qu’il n’est
pas simple de s’y retrouver. Ce d’autant qu’on en parle souvent à tort et à
travers, sans que ce soit toujours en connaissance de cause, si bien qu’il
n’est pas sûr que tous ceux qui prétendent s’exprimer à ce sujet parlent bien
de l’accord-cadre, mais pas plutôt d’autre chose, comme de
l’ « Europe », ou de tout et de rien. En tout cas, le sujet est
hautement controversé. C’est probablement pour cela d’ailleurs que le Conseil
fédéral ne le signe pas tout de suite, et semble chercher à gagner du temps
avec sa consultation, puisque la signature de l’accord-cadre, et la votation
populaire qui s’ensuivrait certainement (ledit accord est soumis au référendum
facultatif), serait politiquement risquée pour les partis qui sont en faveur en
une année d’élections. C’est que cet accord a beaucoup d’opposants. Le Parti du
Travail en fait clairement partie. Pourquoi ? Nous tenterons de
l’expliquer, en commençant par le commencement, en expliquant en quoi consiste
exactement le fameux accord-cadre.
De la voie bilatérale à l’accord-cadre
Un peu d’histoire pour
commencer. L’accord-cadre vient du fait que les limites d’un certain exercice
ont été atteintes avec la « voie bilatérale », adoptée par le Conseil
fédéral comme façon d’éviter l’Alleingang,
dans le strict intérêt des banques et de l’industrie suisse, nullement des
travailleurs de notre pays, après le rejet par le peuple de l’adhésion à
l’Espace économique européen (EEE). La voie bilatérale, c’est une somme
d’accords bilatéraux conclus entre la Suisse et l’Union européenne (plus de
120, des dizaines de milliers de pages, d’une grande complexité juridique),
portant sur des sujets divers et variés. Un seul d’entre eux, celui sur la
libre-circulation des personnes, oblige le Conseil fédéral à consulter le
peuple, si bien qu’il monopolise le débat public. Mais il est loin d’être le
seul, ni même forcément le plus important. D’autres accords bilatéraux portent
sur les obstacles techniques au commerce, les marchés publiques, la recherche,
l’agriculture, le transport terrestre, le transport aérien, mais aussi les
normes en matière de statistiques, la navigation par satellite,
l’environnement, etc. Tous ces accords ne sont pas négatifs, certains sont même
indispensables. Mais, globalement, la logique qui y préside est la
transposition dans le droit suisse d’un droit communautaire néolibérale, dans
une optique de libre-échange, de libéralisation, de nivellement par le bas,
pour le plus grand bénéfice des grandes entreprises, et au détriment des
travailleurs, des services publics, des normes sociales et écologiques. C’est
pourquoi le Parti du Travail est opposé à la voie bilatérale telle qu’elle est
pratiquée actuellement, et milite en faveur de la renégociation d’autres
accords, dans l’intérêts des classes populaires, sur la base d’une logique de
coopération et non de concurrence libre et non faussée.
Mais le fait est que, avec
l’accroissement du nombre d’accords bilatéraux, la complexité croissante de
l’édifice bilatéral qui s’en est logiquement suivi, le nombre élevé
d’exceptions que la Suisse a pu négocier par rapport au droit communautaire
(notamment les mesures d’accompagnement, sensées protéger les travailleurs
contre les effets néfastes de la libre-circulation et qui demeurent très
insuffisantes), et, il faut le dire aussi, les aléas de la démocratie suisse, peu
du goût d’eurocrates habitués d’imposer leurs vues néolibérales de façon
parfaitement autoritaire, sans aucun égard pour la volonté et les aspirations
des peuples, la voie bilatérale est devenue progressivement de moins en moins
satisfaisante pour l’UE, qui n’a pas manqué d’exiger avec une fermeté
croissante que la Suisse reprenne, même sans être membre de l’UE, de façon plus
systématique le droit communautaire. Le Conseil fédéral a préféré d’obtempérer.
S’en sont suivies des négociations, secrètes, d’un accord institutionnel,
depuis 2013. Au mois de décembre 2018, Ignacio Cassis a rendu public l’accord
négocié. D’après l’UE, il n’y a plus rien à discuter. L’accord tel qu’il existe
est à prendre ou à laisser. Pour forcer la main à la Suisse, pour nous contraindre
à signer l’accord, l’UE recourt à diverses mesures de pression, comme un refus
de mettre à jour l’accord sur les obstacles au commerce ou la limitation dans
le temps de l’équivalence boursière, ce jusqu’à ce que la Suisse ait signé.
Malgré cela, le Conseil fédéral a choisi de mettre l’accord cadre négocié en
consultation.
« Actualisation dynamique »
Que contient le fameux
accord-cadre ? Des adversaires pas très bien informés ont pu dire que s’il
passe, c’est l’UE qui gouvernerait la Suisse, ou pas loin de là, ce qui donne
un angle de contre-attaque facile à des partisans pas forcément mieux informés.
Heureusement, ce n’est pas tout à fait le cas. Ce qui ne veut pas dire, loin de
là, que l’accord-cadre ne poserait pas un très grave problème de souveraineté
populaire et de démocratie. L’accord institutionnel, 34 pages, contenant
l’accord proprement dit, ainsi que plusieurs annexes et protocoles, est en fait
conçu comme définissant un cadre institutionnel chapeautant les autres accords
bilatéraux. Pas tous les accords bilatéraux, mais cinq accords du paquet dit
des Bilatérales I concernant l’accès au marché commun : soit 1) l’accord
sur la libre circulation des personnes, 2) l’accord sur le transport aérien, 3)
l’accord sur le transport des marchandises et des voyageurs par rail et par
route, 4) l’accord relatif aux échanges de produits agricoles, et 5) l’accord
relatif à la reconnaissance mutuelle en matière de conformité. Ainsi que tous
les accords futurs concernant l’accès au marché.
L’idée de l’accord cadre
c’est de définir un processus institutionnel pour une « actualisation
dynamique » du droit suisse en fonction de « l’acquis
communautaire ». Traduit du langage eurocratique, cela signifie une
reprise automatique par la Suisse du droit de l’UE, décidé de manière
totalement non-démocratique par des technocrates non-élus, des chefs d’Etats et
des représentants de gouvernements négociants entre eux sans aucun contrôle
populaire, et avec un rôle du Parlement européen (caution vaguement
démocratique du système) proche de la figuration. La Suisse serait obligée de
transposer dans sa propre loi toute actualisation du droit communautaire,
pertinente pour les domaines chapeautés par l’accord cadre, dans les trois ans
(procédure parlementaire et éventuelle votation populaire comprises). Si la
Suisse n’adopte pas gentiment l’ « acquis » communautaire sans
rechigner, le différend serait alors soumis à un « Comité mixte »,
formé de représentants désignés des deux côtés, et négociant sans mandat
démocratique. Si le comité mixte ne trouve pas d’accord, le différend serait
soumis à un Tribunal arbitral, désigné à cet effet, jugeant sur la base des
seuls accords bilatéraux et du droit de l’UE, ce en dernière instance, sans
aucun contrôle démocratique ni droit de recours. Si ledit tribunal arbitral
décide de saisir la cour de justice de l’UE (CJUE), c’est elle qui tranche en
dernière instance. Si la Suisse a l’audace de ne pas obtempérer, elle s’expose
à des « mesures de compensation » de la part de l’UE (des représailles,
dit en langage normal)
Menace sur les droits des travailleurs
Ce mécanisme n’est pas
seulement foncièrement antidémocratique. Il aurait également des conséquences
dévastatrices pour les droits des travailleurs, pour les normes sociales et
écologiques, pour les services publics, pour toute politique autre que néolibérale.
L’important n’étant en l’occurrence pas seulement ce qui est marqué en toutes
lettres dans l’accord, mais aussi ce qui n’y est pas, toutes les exceptions que
les négociateurs suisses avaient obtenu dans des accords précédents, mais qui
n’y sont pas mentionnées (alors qu’elles auraient dû l’être). N’y étant pas,
d’un point de vue de juriste, elles sont de
facto supprimées. Ainsi, l’exception sur les OGM n’y figure pas. Le
prétexte de l’UE était que la question devrait figurer dans un accord en cours
de négociation. Mais il est plus raisonnable de penser que l’UE veut faire
sauter cette exception.
Ce sont également les
mesures d’accompagnement qui sont directement menacées par l’accord cadre. Non
pas parce qu’elles y sont directement dénoncées. Mais parce qu’elles n’y sont
pas mentionnées à titre d’exception, alors qu’elles auraient dû l’être. N’étant
pas mentionnées, elles sont niées de fait, et ce serait dès lors la
jurisprudence de la CJUE, profondément néolibérale, qui s’appliquerait. Les
travailleurs de notre pays seraient ainsi livrés à une concurrence sauvage,
sans plus aucune mesure de protection, aussi limitée fût-elle. Les syndicats
ont très justement analysé et dénoncé cette attaque contre les intérêts des
travailleurs. Ce qui ne manque pas de déplaire aux européistes et aux
porte-paroles de la bourgeoisie (mais pourquoi les distinguer ?).
« La gauche sacrifie sa vision européenne pour une question de quatre
jours ! quatre jours ! » s’étranglait sur le plateau de Léman Bleu
un jeune démocrate chrétien. Lorsque l’on est dans le camp de la bourgeoisie,
et pas des travailleurs, il est sans doute difficile de comprendre pourquoi
s’embarrasser d’une broutille telle que l’assouplissement des normes pour ce
qui est des travailleurs détachés, et l’impossibilité de combattre les abus les
plus flagrants qu’elle induirait, au nom d’une « vision européenne ».
Pour les travailleurs, c’est inacceptable.
NON c’est NON !
Il faut résolument refuser ce
chantage de l’UE et des européistes de chez nous. L’UE, qui a imposé avec une
brutalité extrême, au mépris de toute démocratie, des cures d’austérité sans
fin à tous les peuples d’Europe – le peuple grec ayant le plus souffert de
cette tyrannie – est aujourd’hui justement détestée de tous les peuples qui
subissent son joug. Le peuple suisse a le pouvoir de dire NON. Il se doit de
l’utiliser. Il n’y a rien de plus légitime pour un peuple que de défendre sa
liberté, sa souveraineté et ses droits démocratiques. C’est là une condition
indispensable pour un avenir de progrès social, pour une véritable
collaboration entre les peuples, dans l’intérêt de tous et pas d’une poigne de
milliardaires. Selon nous, on ne peut être à la fois de gauche (du côté des
travailleurs et des classes populaires) et favorables à la machine
technocratique et néolibérale qu’est l’UE, véritable saint-empire capitaliste
qui écrase les peuples sous le joug du grand capital. Ce n’est que par la
rupture avec cette construction intrinsèquement antidémocratique et
réactionnaire qu’il est possible d’arriver à une véritable Europe des peuples.
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