11 novembre 2017

Discours à l'occasion du 9 novembre 2017



Chères et chers camarades,

Le 9 novembre 1932, c’était il y a 85 ans déjà. Le Conseil d’Etat de la République et canton de Genève, de droite, faisait alors intervenir l’armée, encadrée par des officiers d’extrême-droite, pour défendre contre une manifestation antifasciste un meeting, ou plutôt une « mise en accusation publique des sieurs Léon et Nicole », dirigeants du Parti socialiste, organisée par le parti ouvertement nazi Union nationale, avec à sa tête l’antisémite notoire Géo Oltramare, avec lequel la droite genevoise de l’époque n’avait aucun scrupule de faire alliance pour disposer d’une majorité au Grand Conseil, pas seulement par opportunisme, mais parce qu’elle n’était pas loin de partager ses idées. L’armée allait recevoir l’ordre criminel de tirer, faisant ainsi treize morts.

La droite genevoise d’aujourd’hui prétend qu’il s’agit de faits appartenant à un passé lointain, que le monde aurait bien changé, et qu’ils n’auraient plus guère de rapport avec les enjeux de nos jours. Il est vrai que cette droite a tout intérêt à oublier, et surtout, à faire oublier, son passé. Car il n’a rien de très glorieux.
Qu’était ce parti, l’Union nationale, pour protéger lequel le Conseil d’Etat a donné l’autorisation de tirer à balles réelles ? On trouve par exemple dans « le Pilori », journal de l’Union nationale, ceci :
« Vous n’avez plus le droit d’être aveugles. Vous ne pouvez plus refuser les vérités que nous vous apportons. Il faut vous réveiller, montrer que vous avez du sang dans les veines. La Suisse nous regarde, c’est de Genève que partira la contre-révolution. Suivez-nous dès à présent. Vous serez forcés tôt ou tard de nous suivre pour défendre vos biens et vos territoires. Si vous ne votez pas pour nous aujourd’hui, avec des bulletins de vote, demain, fatalement, vous serez à nos côtés à coup de fusil contre la crapule »
Voilà les gens que le Conseil d’Etat entend protéger ! Rappelons que pour ce parti ouvertement fasciste, Jacques Dicker et Léon Nicole n’avaient pas seulement le tort d’être socialiste, mais aussi le fait d’être juif d’origine ukrainienne dans le cas du premier, et vaudois, donc « étranger » à Genève d’après la mentalité de l’extrême-droite d’alors, dans le cas du second.
La droite « respectable », radicale et libérale, ainsi que la presse bourgeoise « traditionnelle » et « républicaine », n’avaient-elles rien à voir avec cet hitlérisme local ? Loin s’en faut. A titre d’exemple, citons les propos suivants parus dans le Journal de Genève du 24 avril 1936:
«Dicker, c'est un être unique. Un spécimen exclusif. Une classe d'hommes à lui tout seul. A son endroit, une regrettable erreur de manœuvre fut commise. On s'est contenté de le naturaliser. C'est l'empailler qu'il eût fallu.»
«Son ombre plane sur toutes les entreprises de la Sociale et son nez se dessine eu filigrane dans le papier où s'imprime Le Travail ....
« Son activité est prodigieuse. C'est lui qui a imposé le yiddish comme langue officielle au Grand Conseil.»
«Dicker n'est pas heureux. Une ambition secrète le dévore. Il rêve d'un grand gouvernement de front commun. Son ami Nicole en aurait été la tête, comme l’autre Léon, Léon Blum et lui Dicker, toujours dans la coulisse, détiendrait le pouvoir effectif comme fait M. Jules Moch, secrétaire général de la présidence. Consolons Maître Jacques. Son rêve est au cinquante pour cent réalisé. Léon Nicole n'est pas Léon Blum, sans doute. Mais Dicker est Moch, incontestablement.»
On trouve des propos similaires, dignes du Völkischer Beobachter, dans d’autres titres de la presse bourgeoise de ces années, qui présentait une certaine uniformité, tirant sur le brun. C’est quelque chose qu’on a des fois tendance à oublier. Alors qu’il ne faudrait surtout jamais faire cette erreur.  Comme l’avait dit Karl Marx « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre ».
Géo Oltramare, lui, travaillera pour l’occupant nazi en France, éditant un journal et des émissions à la radio, pour diffuser une propagande antisémite d’une violence inouïe. Il sera condamné en 1947 à trois ans de prison par la justice fédérale pour haute-trahison envers la Suisse, en sa qualité d’agent du régime hitlérien. Il sera aussi condamné à la peine de mort, par contumace, en 1950, par la justice française. Il s’échappera vers l’Espagne de Franco, pour poursuivre son œuvre infâme. Tel est l’homme pour lequel la droite genevoise eut une complaisance sans failles.

Mais la droite aurait-elle véritablement changé depuis cette époque, devenant authentiquement « moderne » et « démocratique », n’ayant plus rien en commun avec ses tentations brunâtres passées ? La première chose à dire c’est que la « modernité » telle que la conçoit la droite ressemble avant tout…au passé. Cette semaine, l’USAM a proposé de « flexibiliser » et de « moderniser » le droit du travail suisse, déjà particulièrement libéral, pour porter la semaine de travail…à 50 heures ! Leur « modernité » ressemble à s’y méprendre au XIXème siècle. Leur droit du travail « moderne » et « flexible », c’est celui de l’Angleterre décrite dans le Capital de Marx, ou du Second Empire, telle qu’on le lite dans les romans d’Emile Zola.

Quant à l’extrême-droite, elle est plus que jamais là. On a beaucoup parlé, à juste titre, de l’Amérique de Trump, où les suprématistes blancs relèvent comme jamais avec insolence la tête, ne voyant plus même le besoin de dissimuler leur visage sous une cagoule, convaincus qu’ils sont d’avoir le soutien au somment de l’Etat, si bien que même un homme comme Georges W. Bush a pu apparaître presque sympathique, se sentant obligé de se dissocier de l’actuel locataire de la Maison blanche. On a beaucoup parlé aussi des récentes élections autrichiennes, du FN au deuxième tour…mais il ne faudrait pas oublier que le modèle de bien des partis d’extrême-droite en Europe n’est rien d’autre que le premier parti suisse, qui non seulement siège au Conseil fédéral, mais a réussi à imposer au PLR et au PDC ses idées rétrogrades et xénophobes, et à les faire largement passer dans la loi fédérale. Malgré sa démagogie spéculant hypocritement sur la « démocratie » et le « peuple » cette même alliance droite et extrême-droite a mise en place des lois de plus en plus liberticides, menaçant gravement les libertés démocratiques les plus fondamentales. Le droit de manifester notamment est de plus drastiquement restreint. Si la loi sur les manifestations genevoise, portée par l’actuel procureur général Olivier Jornot avait été transposée, par exemple, par le Venezuela, la presse de chez nous n’hésiterait pas à dire que cela prouve qu’il s’agit d’une « dictature ». Le climat politique en Occident n’est certes pas encore aux années trente, mais en sommes nous si loin ?


Aussi, ce 9 novembre 2017, nous n’avons pas seulement un devoir de mémoire pour les événements d’il y a 85 ans, mais surtout celui d’en tirer les leçons. Seul un front populaire uni peut, alors comme maintenant, arrêter la menace fasciste. On ne peut le faire qu’en combattant sans concessions non seulement l’extrême-droite, mais aussi la droite « républicaine », qui n’a jamais hésité à « choisir Hitler plutôt que le front populaire ». Comme l’avait dit Che Guevara « le présent est fait de luttes, l’avenir nous appartient ».

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