Chères et chers camarades,
Le 9
novembre 1932, c’était il y a 85 ans déjà. Le Conseil d’Etat de la République
et canton de Genève, de droite, faisait alors intervenir l’armée, encadrée par
des officiers d’extrême-droite, pour défendre contre une manifestation
antifasciste un meeting, ou plutôt une « mise en accusation publique des
sieurs Léon et Nicole », dirigeants du Parti socialiste, organisée par le
parti ouvertement nazi Union nationale, avec à sa tête l’antisémite notoire Géo
Oltramare, avec lequel la droite genevoise de l’époque n’avait aucun scrupule
de faire alliance pour disposer d’une majorité au Grand Conseil, pas seulement
par opportunisme, mais parce qu’elle n’était pas loin de partager ses idées.
L’armée allait recevoir l’ordre criminel de tirer, faisant ainsi treize morts.
La
droite genevoise d’aujourd’hui prétend qu’il s’agit de faits appartenant à un
passé lointain, que le monde aurait bien changé, et qu’ils n’auraient plus
guère de rapport avec les enjeux de nos jours. Il est vrai que cette droite a
tout intérêt à oublier, et surtout, à faire oublier, son passé. Car il n’a rien
de très glorieux.
Qu’était ce parti, l’Union
nationale, pour protéger lequel le Conseil d’Etat a donné l’autorisation de
tirer à balles réelles ? On trouve par exemple dans « le
Pilori », journal de l’Union nationale, ceci :
« Vous n’avez plus le droit
d’être aveugles. Vous ne pouvez plus refuser les vérités que nous vous
apportons. Il faut vous réveiller, montrer que vous avez du sang dans les
veines. La Suisse nous regarde, c’est de Genève que partira la
contre-révolution. Suivez-nous dès à présent. Vous serez forcés tôt ou tard de
nous suivre pour défendre vos biens et vos territoires. Si vous ne votez pas
pour nous aujourd’hui, avec des bulletins de vote, demain, fatalement, vous
serez à nos côtés à coup de fusil contre la crapule »
Voilà les gens que le Conseil
d’Etat entend protéger ! Rappelons que pour ce parti ouvertement fasciste,
Jacques Dicker et Léon Nicole n’avaient pas seulement le tort d’être socialiste,
mais aussi le fait d’être juif d’origine ukrainienne dans le cas du premier, et
vaudois, donc « étranger » à Genève d’après la mentalité de
l’extrême-droite d’alors, dans le cas du second.
La droite « respectable », radicale
et libérale, ainsi que la presse bourgeoise « traditionnelle » et
« républicaine », n’avaient-elles rien à voir avec cet hitlérisme
local ? Loin s’en faut. A titre d’exemple, citons les propos suivants
parus dans le Journal de Genève du 24 avril 1936:
«Dicker, c'est un être unique. Un spécimen exclusif. Une
classe d'hommes à lui tout seul. A son endroit, une regrettable erreur de
manœuvre fut commise. On s'est contenté de le naturaliser. C'est l'empailler
qu'il eût fallu.»
«Son ombre plane sur toutes les entreprises de la Sociale
et son nez se dessine eu filigrane dans le papier où s'imprime Le Travail ....
« Son activité est prodigieuse. C'est lui qui a imposé le
yiddish comme langue officielle au Grand Conseil.»
«Dicker n'est pas heureux. Une ambition secrète le dévore.
Il rêve d'un grand gouvernement de front commun. Son ami Nicole en aurait été
la tête, comme l’autre Léon, Léon Blum et lui Dicker, toujours dans la
coulisse, détiendrait le pouvoir effectif comme fait M. Jules Moch, secrétaire
général de la présidence. Consolons Maître Jacques. Son rêve est au cinquante
pour cent réalisé. Léon Nicole n'est pas Léon Blum, sans doute. Mais Dicker est
Moch, incontestablement.»
On trouve des propos similaires, dignes du Völkischer Beobachter, dans d’autres
titres de la presse bourgeoise de ces années, qui présentait une certaine
uniformité, tirant sur le brun. C’est quelque chose qu’on a des fois tendance à
oublier. Alors qu’il ne faudrait surtout jamais faire cette erreur. Comme l’avait dit Karl Marx « Celui qui
ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre ».
Géo
Oltramare, lui, travaillera pour l’occupant nazi en France, éditant un journal
et des émissions à la radio, pour diffuser une propagande antisémite d’une
violence inouïe. Il sera condamné en 1947 à trois ans de prison par la justice
fédérale pour haute-trahison envers la Suisse, en sa qualité d’agent du régime
hitlérien. Il sera aussi condamné à la peine de mort, par contumace, en 1950,
par la justice française. Il s’échappera vers l’Espagne de Franco, pour poursuivre
son œuvre infâme. Tel est l’homme pour lequel la droite genevoise eut une
complaisance sans failles.
Mais la
droite aurait-elle véritablement changé depuis cette époque, devenant
authentiquement « moderne » et « démocratique », n’ayant
plus rien en commun avec ses tentations brunâtres passées ? La première
chose à dire c’est que la « modernité » telle que la conçoit la
droite ressemble avant tout…au passé. Cette semaine, l’USAM a proposé de
« flexibiliser » et de « moderniser » le droit du travail
suisse, déjà particulièrement libéral, pour porter la semaine de travail…à 50
heures ! Leur « modernité » ressemble à s’y méprendre au XIXème
siècle. Leur droit du travail « moderne » et « flexible »,
c’est celui de l’Angleterre décrite dans le Capital
de Marx, ou du Second Empire, telle qu’on le lite dans les romans d’Emile Zola.
Quant à
l’extrême-droite, elle est plus que jamais là. On a beaucoup parlé, à juste
titre, de l’Amérique de Trump, où les suprématistes blancs relèvent comme
jamais avec insolence la tête, ne voyant plus même le besoin de dissimuler leur
visage sous une cagoule, convaincus qu’ils sont d’avoir le soutien au somment
de l’Etat, si bien que même un homme comme Georges W. Bush a pu apparaître
presque sympathique, se sentant obligé de se dissocier de l’actuel locataire de
la Maison blanche. On a beaucoup parlé aussi des récentes élections
autrichiennes, du FN au deuxième tour…mais il ne faudrait pas oublier que le
modèle de bien des partis d’extrême-droite en Europe n’est rien d’autre que le
premier parti suisse, qui non seulement siège au Conseil fédéral, mais a réussi
à imposer au PLR et au PDC ses idées rétrogrades et xénophobes, et à les faire
largement passer dans la loi fédérale. Malgré sa démagogie spéculant
hypocritement sur la « démocratie » et le « peuple » cette
même alliance droite et extrême-droite a mise en place des lois de plus en plus
liberticides, menaçant gravement les libertés démocratiques les plus
fondamentales. Le droit de manifester notamment est de plus drastiquement
restreint. Si la loi sur les manifestations genevoise, portée par l’actuel
procureur général Olivier Jornot avait été transposée, par exemple, par le
Venezuela, la presse de chez nous n’hésiterait pas à dire que cela prouve qu’il
s’agit d’une « dictature ». Le climat politique en Occident n’est
certes pas encore aux années trente, mais en sommes nous si loin ?
Aussi,
ce 9 novembre 2017, nous n’avons pas seulement un devoir de mémoire pour les
événements d’il y a 85 ans, mais surtout celui d’en tirer les leçons. Seul un
front populaire uni peut, alors comme maintenant, arrêter la menace fasciste.
On ne peut le faire qu’en combattant sans concessions non seulement
l’extrême-droite, mais aussi la droite « républicaine », qui n’a
jamais hésité à « choisir Hitler plutôt que le front populaire ».
Comme l’avait dit Che Guevara « le présent est fait de luttes, l’avenir
nous appartient ».
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