La
République populaire de Chine est-elle aujourd’hui un pays capitaliste (si oui,
depuis quand ?) ou un pays socialiste ? Ou bien quelque chose entre
les deux ? La Chine a depuis des années déjà une économie de marché. Le
développement des rapports de production capitalistes n’y est pas allé sans le
rétablissement de l’exploitation de la force de travail, parfois dans les pires
formes. Les dirigeants chinois défendent également avec une certaine constance
le libre-échange au plan mondial. Mais il est vrai aussi que la Chine est
dirigée par un parti communiste, et qui définit le mode de production en
vigueur comme une « économie de marché à orientation socialiste ». De
fait, la Chine s’est rapidement développée, plutôt que de vivre un effondrement
économique comme tous les pays anciennement socialistes où le capitalisme fut
restauré, et cela n’y fut possible que dans la mesure où le marché n’y est pas
« libre », mais dirigé par le gouvernement chinois, selon des
objectifs politiques de développement. Il faut insister aussi sur le fait que
l’Etat chinois met en place depuis des années une protection sociale
progressivement universalisée, ainsi que des services publics, tout ce que les
néolibéraux s’emploient à liquider dans les pays capitalistes.
Le
socialisme officiel, l’idéologie du PCC – dont la base reste le
marxisme-léninisme – ne seraient-ils que des paravents, un décorum vide de
sens, une langue de bois qui n’exprime rien, conservée par immobilisme ?
C’est ce que la plupart des publications bourgeoises qui parlent de la Chine
considèrent généralement comme un fait acquis, qu’il n’est nul besoin de
démontrer. Il faudrait expliquer alors pourquoi les dirigeants du PCC semblent
prendre très au sérieux leur socialisme et l’idéologie qui le fonde. Depuis
l’accession au pouvoir de Xi Jinping, la Chine fait également l’objet
d’attaques d’inspiration anticommunistes dans les médias occidentaux, qui sont
difficilement explicables dans l’hypothèse où il s’agit simplement d’un pays
capitaliste comme un autre.
Ce
sont des questions que s’est posé Jean-Claude Delaunay (né en 1938, professeur
honoraire des universités, vice-président de la World Association for Political
Economy). Pour tenter d’y répondre, il a publié un livre – Les trajectoires chinoises de modernisation et de développement. De
l’empire agro-militaire à l’Etat-Nation et au socialisme – aux éditions
Delga, en 2018.
Jean-Claude Delaunay pense que la Chine reste
aujourd’hui un pays socialiste, que, s’il y a des entreprises capitalistes, il
n’y a pas de mode de production capitaliste, puisque le marché n’y est pas
laissé à lui-même, mais ce que les dirigeants chinois appellent le « stade
primaire du socialisme » (ce qui serait leur découverte théorique majeur),
soit une économie de marché dirigée politiquement dans le but du développement
économique d’un pays il y a peu extrêmement pauvre. Ce dirigisme politique
suffit-il pour qu’il y ait socialisme ? On peut en douter. Du reste,
Jean-Claude Delaunay est obligé d’admettre qu’il y d’évidentes ressemblances
entre le socialisme de marché chinois et le capitalisme monopoliste d’Etat
d’après 1945.
D’après Jean-Claude Delaunay, si le PCC
décida de réintroduire la propriété privée des moyens de productions sous le
mandat de Jiang Zemin, c’est parce que les tentatives de réformes de marché
tout en gardant la propriété publique des entreprises sous Deng Xiaoping n’ont
pas eu les résultats escomptés, et ont créé des effets indésirables. On peut
aussi en tirer d’autres conclusions : le socialisme est un mode de
production qui a ses propres lois, et on ne peut pas
l’ « améliorer » en y injectant des rapports de marché, qui lui
sont étrangers.
Mais, que l’on partage les conclusions de
l’auteur ou pas, on apprendra énormément en lisant son livre – qui représente
un travail d’analyse extrêmement sérieux et complet – sur différents aspects
(économie, agriculture, démographie, services publics, etc.) du développement
de la Chine depuis Deng Xiaoping, ainsi que sur l’histoire de la mise en place
des politiques de « réforme et d’ouverture », et sur leur
interprétation théorique par les dirigeants du PCC.
Un livre plus que recommandé pour mieux
comprendre cet immense pays.
Alexander Eniline
N.B. : les éditions Delga ne sont pas
diffusées en Suisse, ni ne travaillent avec Amazon, mais il est possible de
commander dans une librairie
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