22 février 2019

Du socialisme et / ou du marché en Chine



La République populaire de Chine est-elle aujourd’hui un pays capitaliste (si oui, depuis quand ?) ou un pays socialiste ? Ou bien quelque chose entre les deux ? La Chine a depuis des années déjà une économie de marché. Le développement des rapports de production capitalistes n’y est pas allé sans le rétablissement de l’exploitation de la force de travail, parfois dans les pires formes. Les dirigeants chinois défendent également avec une certaine constance le libre-échange au plan mondial. Mais il est vrai aussi que la Chine est dirigée par un parti communiste, et qui définit le mode de production en vigueur comme une « économie de marché à orientation socialiste ». De fait, la Chine s’est rapidement développée, plutôt que de vivre un effondrement économique comme tous les pays anciennement socialistes où le capitalisme fut restauré, et cela n’y fut possible que dans la mesure où le marché n’y est pas « libre », mais dirigé par le gouvernement chinois, selon des objectifs politiques de développement. Il faut insister aussi sur le fait que l’Etat chinois met en place depuis des années une protection sociale progressivement universalisée, ainsi que des services publics, tout ce que les néolibéraux s’emploient à liquider dans les pays capitalistes.

Le socialisme officiel, l’idéologie du PCC – dont la base reste le marxisme-léninisme – ne seraient-ils que des paravents, un décorum vide de sens, une langue de bois qui n’exprime rien, conservée par immobilisme ? C’est ce que la plupart des publications bourgeoises qui parlent de la Chine considèrent généralement comme un fait acquis, qu’il n’est nul besoin de démontrer. Il faudrait expliquer alors pourquoi les dirigeants du PCC semblent prendre très au sérieux leur socialisme et l’idéologie qui le fonde. Depuis l’accession au pouvoir de Xi Jinping, la Chine fait également l’objet d’attaques d’inspiration anticommunistes dans les médias occidentaux, qui sont difficilement explicables dans l’hypothèse où il s’agit simplement d’un pays capitaliste comme un autre.

Ce sont des questions que s’est posé Jean-Claude Delaunay (né en 1938, professeur honoraire des universités, vice-président de la World Association for Political Economy). Pour tenter d’y répondre, il a publié un livre – Les trajectoires chinoises de modernisation et de développement. De l’empire agro-militaire à l’Etat-Nation et au socialisme – aux éditions Delga, en 2018.

Jean-Claude Delaunay pense que la Chine reste aujourd’hui un pays socialiste, que, s’il y a des entreprises capitalistes, il n’y a pas de mode de production capitaliste, puisque le marché n’y est pas laissé à lui-même, mais ce que les dirigeants chinois appellent le « stade primaire du socialisme » (ce qui serait leur découverte théorique majeur), soit une économie de marché dirigée politiquement dans le but du développement économique d’un pays il y a peu extrêmement pauvre. Ce dirigisme politique suffit-il pour qu’il y ait socialisme ? On peut en douter. Du reste, Jean-Claude Delaunay est obligé d’admettre qu’il y d’évidentes ressemblances entre le socialisme de marché chinois et le capitalisme monopoliste d’Etat d’après 1945.

D’après Jean-Claude Delaunay, si le PCC décida de réintroduire la propriété privée des moyens de productions sous le mandat de Jiang Zemin, c’est parce que les tentatives de réformes de marché tout en gardant la propriété publique des entreprises sous Deng Xiaoping n’ont pas eu les résultats escomptés, et ont créé des effets indésirables. On peut aussi en tirer d’autres conclusions : le socialisme est un mode de production qui a ses propres lois, et on ne peut pas l’ « améliorer » en y injectant des rapports de marché, qui lui sont étrangers.

Mais, que l’on partage les conclusions de l’auteur ou pas, on apprendra énormément en lisant son livre – qui représente un travail d’analyse extrêmement sérieux et complet – sur différents aspects (économie, agriculture, démographie, services publics, etc.) du développement de la Chine depuis Deng Xiaoping, ainsi que sur l’histoire de la mise en place des politiques de « réforme et d’ouverture », et sur leur interprétation théorique par les dirigeants du PCC.

Un livre plus que recommandé pour mieux comprendre cet immense pays.

Alexander Eniline


N.B. : les éditions Delga ne sont pas diffusées en Suisse, ni ne travaillent avec Amazon, mais il est possible de commander dans une librairie

Aucun commentaire: